il y eut quelques instants de noir complet et beaucoup de gloussements nerveux et de chuchotements qui firent place à un silence étonné quand l’écran s’éclaira sur l’image de deux hommes sur un ring, deux hommes meurtris et couverts de sang en train de se rouer de coups avec une sauvagerie lasse et obstinée. Ce qui stupéfia Max, ce fut le réalisme absolu de ce qu’il voyait. Ni trucage ni simulation. Il assistait bel et bien à la fameuse rencontre Fitzsimmons-Corbett qui avait vu Bob Fitzsimmons, le “Taureau rosbif” comme on l’appelait, l’emporter par K.-O. sur l’Américain, le souple et séduisant “Gentleman Jim” qui ressemblait si peu à un boxeur professionnel. Il l’avait envoyé au tapis non pas franchement d’un uppercut à la mâchoire, bien américain, mais d’un coup sournois typiquement britannique au plexus solaire. Le pauvre, le beau, le brave Gentleman Jim en était resté paralysé, incapable de lever la main pour se protéger. Max avait parié sur le match, perdu sa mise, discuté des phases de la rencontre une centaine de fois, mais il n’avait que la plus vague notion de l’endroit où se trouvait Carson City, Nevada. Aujourd’hui, miracle des miracles, les deux poids lourds étaient là, à se tabasser juste sous ses yeux. Max fut saisi comme jamais auparavant par cette chose impossible, inconcevable, incroyable et merveilleuse ; cloué sur sa chaise, il fixait l’écran avec une intensité proche de la transe.