Ni le bien ni la beauté ne sont des propositions inaltérables, éternelles, qui nous guettent à l’extérieur de la caverne de cette fugacité où se déroule l’histoire que nous incarnons. Ne nous acharnons pas à vouloir sortir de cette caverne, et ne croyons pas ceux qui disent qu’ils en sont sortis et qui se vantent d’y être retournés pour nous éblouir avec l’impalpable. Choisissons une humble tentative d’amélioration de ce qui nous semblera toujours d’une certaine façon imparfait, plutôt que de repousser avec un découragement coupable ou de tenter de lui donner une gigantesque importance jusqu’à ce que son énormité inhumaine nous accable. La seule façon, compatible avec notre contingence, de multiplier les biens que nous apprécions, c’est de les échanger, de les partager, de les communiquer à nos semblables, afin qu’ils rebondissent avec eux et qu’ils reviennent vers nous chargés d’un sens rénové. Elle est triviale cette démesure qui prétend hisser n’importe quelle signification jusqu’à une totalité qui romprait nos multiples rapports fragmentaires, partiels et successifs avec ceux qui nous regardent dans les yeux depuis la même stature que nous. Ce qui nous sauve – à nos yeux, du moins – de la non-signification réside précisément dans les prudents égards que nous manifestons à ce que nous admirons en prenant garde de ne pas le modifier. Et aussi dans la façon que nous avons de ne pas nous résigner à ses habitudes ou à sa médiocrité : l’acceptation joyeuse de la contingence n’empêche pas de lutter pour l’excellence. Nous n’entendons pas par excellence la recherche de quelque absolu (l’excellence obtenue serait tout aussi contingente que la médiocrité dépassée), mais plutôt la soif d’aller au-delà et de perfectionner ce que nous avons réussi… sans jamais franchir les limites que définit et marque le sens auquel nous pouvons prétendre.