Enregistrés, diffusés, exposés, transférés,
mis en boucle, ces millions et millions d’objets audiovisuels circulent, nous entourent, nous y sommes plongés, nous en faisons les anneaux de nos relations, les signifiants de nos mises en commun. S’en plaindre serait vain. Vous nous direz : oublions-les. Ces nuages d’images ne sont pas aussi précieux que l’air qu’on respire. Eh bien, nous n’en sommes pas si sûrs. Les images qui nous entourent et qui sont montrées par (et qui nous montrent) d’autres hommes, d’autres systèmes, d’autres empires, se substituent aux images qu’autrefois nous pouvions encore imaginer nous-mêmes.
Peut-être cet “autrefois” n’a-t-il jamais existé. Toujours des images ont formé des images, dans une suite sans fin, qui est aussi notre histoire. Mais ici et maintenant, un tel bombardement de formes visibles, de vibrations et de couleurs qui auront été pensées, voulues, imaginées d’abord par le marché, la publicité, la mode, les journaux, nous conduit sans que nous le sachions vraiment à voir comme il faut. Comme il faut voir, compte tenu de tout ce qui se fait voir et ne cesse de monter vague après vague à l’assaut de nos nerfs.
Demain,
la technologie ne cessera d’évoluer, en même temps que la tentation de fabriquer une image plutôt que de la capter. Disons que la fixité du pixel remet en cause l’un des fondements de l’opération cinématographique : l’analyse du mouvement découpe le visible en unités discrètes, les photogrammes, qui jamais ne sont complètement identiques l’un à l’autre. D’un photogramme au suivant, il se passe quelque chose : du temps. D’une image numérique à la suivante, il peut n’y avoir aucune différence, il peut ne se marquer aucune temporalité. C’est donc la perception des durées, du passage même du temps, qui change d’un mode à l’autre. Or, le cinéma est d’abord un art du temps.
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Elles sont une façon de s’entourer des autres
et de leur laisser la parole. Elles sont la voix des autres. Je ne conçois pas de livres sans citation parce que je ne conçois pas de livres sans la basse continue de la conversation. Écrire est une façon de parler. Il est peut-être temps de poser une première hypothèse. Si je me suis soucié de poésie, plus de poésie que d’autre chose, plus de poésie que de roman par exemple, c’est que je crois qu’un poème contient pour ainsi dire par définition une adresse, c’est-à-dire la présence d’autrui, qu’il est toujours adressé, qu’il est toujours soit une façon de parler soit un endroit où se rendre et peut-être les deux.