Cahier de citations
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Femmes passionnées
Les filles au crépuscule descendent dans l’eau
quand, étale, la mer disparaît. Dans le bois
chaque feuille tressaille tandis qu’elles émergent
prudentes sur le sable et s’assoient sur la rive.
L’écume joue inquiète le long de l’eau lointaine.
Les filles ont peur des algues enfouies sous les vagues,
qui s’agrippent aux épaules et aux jambes:
ce qui est nu de leur corps. Lestement elles regagnent
la rive et s’appellent par leur nom, épiant autour d’elles.
Les ombres aussi, sur le fond de la mer, dans le noir,
sont énormes, on les voit qui remuent indécises
et semblent attirées par les corps qui passent. Le bois
est un havre tranquille, dans le soleil couchant,
plus que le bord de l’eau, mais ces filles hâlées aiment bien
être assises sous le ciel, leur drap de bain ramené sur le corps.
Elles sont accroupies, serrant contre les jambes
leur drap et contemplent la mer qui s’étale
comme un pré au couchant. Et si l’une d’elles osait
s’étendre dans un pré maintenant toute nue ? Les algues
qui effleurent les pieds bondiraient de la mer
pour s’emparer de son corps frissonnant et pour l’envelopper.
Il y a dans la mer des yeux qui affleurent parfois.
L’étrangère inconnue qui la nuit nageait seule,
toute nue dans le noir, au changement de lune,
a disparu une nuit et ne reviendra plus.
Elle était grande et sans doute d’une blancheur éclatante
pour que du fond de l’eau les yeux aient pu l’atteindre.
L’intérêt porté à l’enfant par la prolifération consumériste lui a valu une sollicitude dont le privait jadis sa faible capacité productive.
Le capitalisme a métamorphosé le petit esclave des usines en un prince d’opérette publicitaire.
Volens nolens, la société de consommation a propagé et vulgarisé les thèses de Groddeck, de Freud, de Freinet, de Dolto, démontrant la richesse de cette vitalité exubérante, que le mépris de la nature assimilait à de la sauvagerie. La cupidité marchande qui, jusqu’alors, la transformait en une force de travail, d’une efficacité médiocre, l’a réhabilitée avantageusement. Elle a mis en branle la filière des faux besoins et des désirs factices pour faire jouer dès le plus jeune âge les ressorts de l’avidité incontinente.
Rien ne s’explique en dehors de ce mouvement de rétractation qui s’est emparé de notre époque :
la vie se perd où s’accroît le confort de la survie. Là réside le point de corruption qui menace à plus ou moins longue échéance l’existence humaine. Car, sans la vie, la survie n’est que l’attente de la mort.
La foule était si nombreuse qu’on avait l’impression, où qu’on fût, d’être au beau milieu.
Le flot dense s’écoulait, au coucher du soleil, les entraînant le long de stands et d’étals de nourriture, et les amies se trouvèrent séparées en trente secondes. Ce qu’elle commença à ressentir, outre l’impuissance, était une sensation exacerbée de ce qu’elle était par rapport aux autres, ces milliers de gens, disciplinés mais étouffants. Les plus proches la voyaient, lui souriaient, certains lui parlaient, un ou deux, et elle était forcée de se voir dans la surface réfléchissante de la foule. Elle devenait ce qu’ils lui renvoyaient. Elle devenait un visage et des traits, une couleur de peau, une personne blanche, blanche étant son trait fondamental, le statut de son être. Ainsi donc, voilà qui elle était, pas vraiment mais en même temps oui, très exactement, pourquoi pas ? Privilégiée, détachée, autocentrée, blanche. C’était là, sur son visage, instruite, ignorante, pleine d’effroi. Elle ressentait toute l’amère vérité que recèlent les stéréotypes. La foule était heureuse d’être une foule. C’était leur vérité. Ils étaient chez eux, songeait-elle, dans la marée des corps, la masse compressée. Être une foule, c’était une religion en soi, sans lien avec l’occasion qu’ils étaient là pour célébrer. Elle songea à des foules prises de panique qui submergeaient les rives d’un fleuve.
La vraie vie n’est pas réductible à des mots prononcés ou écrits,
par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moments infinitésimaux.
Selon les caractéristiques et les dimensions de son pénis (linga),
l’homme est lièvre, taureau ou cheval. De même, la femme est antilope, jument ou éléphante, suivant la profondeur de son vagin (yoni).
Il existe trois accouplements conformes à la nature et six “inégaux”, c’est-à-dire deux unions “inégales” pour chacun des trois modèles.
Pour un plaisir équilibré il est préférable que les partenaires aient des mensurations sexuelles correspondantes; dans ce cas, leur jouissance sera évidemment modérée.
Lorsque les dimensions du membre de l’homme sont supérieures à celles du vagin de sa partenaire et que le mâle s’accouple avec la femme qui vient immédiatement après son homologue ou avec celle qui la suit, on parle d’union supérieure et violente ou d’accouplement très supérieur et très violent, suivis d’une jouissance de type aigu.
A l’inverse, quand les mensurations sexuelles de la femme surpassent celle s de son partenaire masculin et suivant une hiérarchie identique à la précédente, on parle d’union inférieure d’où résulte pour l’un et l’autre un plaisir insignifiant.
En résumé, il y a neuf catégories d’accouplements selon les dimensions des sexes. Les conjugaisons des semblables sont les meilleures; celles des opposés les plus éloignés sont les pires; toutes les autres se tiennent dans la bonne moyenne, quoique, parmi ces dernières, il faille préférer les violentes aux dérisoires.
Applaudir au développement des énergies alternatives sans les mettre au service de l’autogestion,
c’est donner des gages à une exploitation en habits neufs, aussi retorse que l’ancienne.
(…)
Il y a dans la tyrannie du travail, rompant à son esprit et à ses cadences jusqu’aux moindres jouissances, une trahison de l’enfance et des promesses que la maturité lui laissait entrevoir.
Comment ignorer que cette plaie, rouverte à chaque instant, est la cause principale de notre détresse existentielle, la mal être qui affecte l’univers entier ? Qu’en la vie dépecée par le travail réside le malaise de notre civilisation ?
(…)
Le consumérisme a imposé un ordre de mesure à la représentation de soi, à l’art des apparences, à la mise en scène du quotidien, aux fastes dérisoires du mal de survie. Il a gradué le prix des êtres selon le prix des choses qu’ils ont le pouvoir d’acheter.
Ainsi, au rythme de la crétinisation publicitaire, le culte de la mode s’est érigé en critère d’excellence et d’exclusion. L’emprise du marché exerce sur l’enfance un pouvoir de subordination qui substitue au désir d’être soi cette envie de paraître, essentiellement compétitive, d’où procèdent l’agressivité, la frustration, la violence, l’instinct prédateur.
(…)
Dénoncer une injustice ou une barbarie sans entreprendre d’éradiquer le mal à la racine expose à un risque dont tout pouvoir constitué sait habilement tirer profit : il cherche des coupables au lieu d’agir sur les conditions qui les produisent.
La vieille tradition du bouc émissaire imprègne de ses suintements nauséabonds la plupart de nos comportements. La plus lâche des commodités consiste à se délecter impunément de son malaise, de ses humeurs sur un proche, un voisin, un compagnon, soudain accusés de déviation, de carence, de trahison, plutôt que de s’en prendre à la cause des contrariétés.
L’honnête dénonciateur d’une indignité se mue avec aisance, sinon avec complaisance, en un indigne délateur. Le négatif tient sa proie et la proie se fait prédatrice. Illuminé de vérités dogmatiques, le sentiment humain s’obscurcit et rejoint l’ombre où croupissent indistinctement les objets d’un opprobre vrai ou faux.