Cahier de citations


Tout autre était la proposition de Walter Benjamin,

que nous reprenons ici à notre compte : “organiser le pessimisme” dans le monde historique en découvrant un “espace d’images” au creux même de notre “conduite politique”, comme il dit. Cette proposition concerne la temporalité impure de notre vie historique, qui n’engage ni destruction achevée ni début de rédemption. Et c’est en ce sens qu’il faut comprendre la survivance des images, leur immanence fondamentale : ni leur néant, ni leur plénitude, ni leur source d’avant toute mémoire, ni leur horizon d’après toute catastrophe. Mais leur ressource même, leur ressource de désir et d’expérience au creux même de nos décisions les plus immédiates, de notre vie la plus quotidienne.

Il est difficile de réveiller ses rêves,

de façonner de l’hétérogène, d’acquérir l’art d’inventer autrement sa vie jusque-là mutilée. C’est pourquoi sans fin l’on se soulève. Sans fin, parce que bien souvent cela retombe, cela échoue, cela s’échoue sur les sables du conformisme ou contre la falaise des services d’ordre. Mais, sans fin, l’on recommence, sans fin : sans que jamais le but final – l’apaisement de tout, la réconciliation obtenue, le désir enfin satisfait – ne soit atteint. Mais, aussi, sans que jamais ne retombe le désir et, avec lui, le courage de désobéir, la pulsion d’inventer, la force de faire autrement, l’énergie pour se désasujettir. Les soulèvements, par cette intarissable multiplicité dont fait montre l’histoire des sociétés humaines, formeraient donc, prises ensemble, le grand art politique du non finito. Cela pour dire à la fois leur fragilité constitutive – ou constitutionnelle : fragilité de s’indéfinir au regard du pouvoir – et leur puissance proprement infinie. Puissance de volcans, de vagues, dé poussières en mouvement ou d’ouragans.

Mais pendant la seconde suivante,

l’horrible vérité me frappa.

(Il est malheureusement nécessaire d’insérer ici une longue explication technique. Á la suite d’expériences secrètes menées dans l’ancienne boulangerie Kronan, le téléviphone couleur avait atteint une telle perfection qu’elle permettait de téléviphoner non seulement des visages, des uniformes, des costumes civils, des promesses, des résolutions, des mensonges et des propositions malhonnêtes, mais également des états d’âme. En effet, en enfonçant tout simplement un bouton, on pouvait régler automatiquement la couleur du visage de façon à ce qu’il reflète un état d’esprit correspondant à chaque situation. En suivant l’ordre des boutons, le schéma des couleurs était le suivant :

Lie-de-vin : j’éprouve une vive sympathie pour tout ce qu’il y a de meilleurs dans les efforts des hommes ; c’était la couleur dite de l’Hôtel de Ville, composée pour le soixantième anniversaire du Maire suprême de Sundbyberg, C.A. Albertsson. Vert glauque : mais je serais encore plus heureux si j’étais appelé à faire mon service dans la marine. Vert pré : je désirerais reposer sous l’herbe de ma ville natale. Bleu acier : je suis plus que jamais résolu à défendre ma patrie ; c’était la couleur favorite des “malexandres”, c’est-à-dire des membres du parti d’Östergötland. Blanc-zinc : je suis profondément peiné de constater que tous les citoyens ne partagent pas ma juste opinion sur cette quesrtion. Jaune canari : j’exiqge d’être cru sur parole ; cette couleur était utilisée surtout par les fonctionnaires pour la diffusion de la vérité civique. Gris-brun : n’allez surtout pas vous imaginer que j’ai des opinions dissidentes, mais – Brun-gris : je suis la ligne des dirigeants sans la moindre défaillance. Gris-cendre : je parle évidemment sous le sceau du secret. Bleu-noir : je pleure comme chacun d’entre nous la disparition d’un grand homme. Rouge clair : je suis en contact intime avec la conscience universelle, car je viens de signer aujourd’hui même un appel en faveur de la paix ; c’était la couleur dite intellectuelle sur laquelle était également branché mon appareil. Orange : je suis absolument indigné car je viens d’être le témoin d’un complot contre la liberté ; cette couleur était de préférence utilisée par le personnel pénitencier supérieur, les employés du service de la liberté et diverses autorités exerçant la censure.

Bien entendu, on pouvait ensuite combiner ces diverses couleurs et, par exemple, avoir le front blanc-zinc, le nez lie-de-vin, les joues et le menton orange et les yeux bleu acier. Ou comme chez l’écrivain idéal : l’oreille droite gris-brun, l’oreille gauche brun-gris, le nez bleu acier, les joues rouge clair et le menton vert glauque, – Mais l’action a déjà été suffisamment retardée. Et s’il fallait rendre compte, ici, de toutes les sept cent quarante combinaisons possibles, elle le serait davantage encore.)

Mais qui pourrait s’étonner encore du sentiment d’angoisse qui s’empara de moi ?

Ma première conversation télléviphonique, tant attendue, allait être orange !

Ce n’est pas le progrès technique en soi

qui transforme les rapports que les humains entretiennent entre eux et avec le monde, ce sont plutôt les modifications parfois ténues de ces rapports qui rendent possible un type d’action jugé auparavant irréalisable sur ou avec une certaine catégorie d’existants. Car toute technique est avant tout une relation madiate ou immédiate entre un agent intentionnel et de la matière inorganique ou vivante, y compris lui-même. Pour qu’une technique nouvelle apparaisse ou soit empruntée avec quelque chance de succès, il faut donc assurément qu’elle présente une utilité réelle ou imaginaire et qu’elle soit compatible avec les autres caractéristiques du système où elle prend place. Il faut surtout que la relation originale qu’elle implique soit objectivable, c’est-à-dire qu’elle corresponde à un schème d’interactions préexistant, mais confiné jusque-là dans une position subalterne ou spécialisée parce que s’exerçant de façon exclusive vis-à-vis d’une classe bien définie d’objets. En ce sens un choix technique suppose tout à la fois une reconfiguration d’éléments déjà présents et l’application d’un type spécifique de relation à des entités qui n’étaient pas auparavant concernées par lui.

On nous a dès l’enfance inculqué,

gravé dans l’esprit, l’amour des hommes en armes. Nous avons grandi comme si nous étions toujours en guerre, même ceux qui sont nés des dizaines d’années après. Aujourd’hui encore après les crimes de la Tcheka, les exactions staliniennes et les camps, après les récents évènements de Vilnius, de Bakou, de Tbilissi, après Kaboul et Kandahar, nous voyons toujours dans un homme armé le soldat de 1945, le soldat de la Victoire. Tant de livres ont été écrits sur la guerre, tant d’armes ont été fabriquées par la main et l’intelligence de l’homme que l’idée de meurtre est devenue normale. Alors que les esprits les meilleurs s’interrogent sur le droit qu’auraient les humains de tuer les animaux, nous autres, sans trop hésiter ou forgeant à la hâte un idéal politique, nous sommes capables de justifier la guerre. Allumez votre poste de télévision le soir et vous verrez avec quelle secrète exaltation nous portons en terre nos héros. En Géorgie, en Abkhazie, au Tadjikistan… Et sur leurs tombes nous élevons des stèles et non des chapelles funéraires…

Je hais la guerre et l’idée même qu’un homme ait droit de vie et de mort sur un autre homme.

Il est plongé dans l’histoire de la logique,

cherchant à vérifier son intuition que la logique est une invention humaine et n’est pas une partie constitutive de l’être, et que en conséquence (il y a de nombreuses étapes intermédiaires, mais il pourra voir cela de plus près plus tard) les ordinateurs sont simplement des jouets inventés par des gamins (Charles Babbage en tête) pour amuser d’autres gamins. Il y a de nombreuses alternatives à la logique aristotélicienne, il en est convaincu (mais combien ?), chacune valant bien la logique de l’un ou l’autre. La menace que représente le jouet grâce auquel il gagne sa vie, la menace qui en fait plus qu’un simple jouet, est que cela va inscrire le mode de l’un ou l’autre dans les cerveaux des usagers, et les enfermer de façon irréversible dans sa logique binaire.

Pour notre bien commun,

nos managers régaliens voudraient éradiquer en chaque individu sa mauvaise graine, l’exorciser du moindre écart réglementaire, le sevrer de toute addiction nuisible, le réduire à sa plus simple expression kantienne, un agent de contrôle de sa propre rectitude morale. Et, “en même temps”, nulle objection à ce que la dérégulation économique fasse rage, à ce que les entreprises s’émancipent de leurs contraintes éthiques ou fiscales, puisque la Loi du marché, c’est tout naturellement de n’en respecter aucune. Un tel double discours du non-droit et du laisser-faire – privant chacun de tout sauf le secteur privé – réserve le respect d’un civisme intrusif à nos consciences fautives, sous prétexte de nous bonifier un par un, à un tel point de pureté que ça laisse à notre libre arbitre, avec ses hauts et ses débats, zéro marge de manœuvre, sinon le règne absolutiste du souverain Bien.

Lorsqu’on raconte une histoire au cinéma,

on ne devrait recourir au dialogue que lorsqu’il est impossible de faire autrement. Je m’efforce toujours de chercher d’abord la façon cinématographique de raconter une histoire par la succession des plans et des morceaux de film entre eux. (…) Lorsqu’on écrit un film, il est indispensable de séparer nettement les éléments de dialogue et les éléments visuels et, chaque fois qu’il est possible, d’accorder la préférence au visuel sur le dialogue. Quel que soit le choix final par rapport à l’action en développement, il doit être celui qui tient le plus sûrement le public en haleine.

Archives

Le coeur de pierre

  1. Stammheim Törturkammer-Retard #86 SPK 8:59
  2. Pascal le Gall - Returns - Part3 #85 Pascal Le Gall 12:52
  3. Un entretien avec Jeanne Moreau #84 From Brussel with Love 8:36
  4. Space Decay #83 White 5:22
  5. Landscapes #82 Pascal Le Gall 4:57
  6. Side A #81 Ectoplasm Girls 3:33
  7. Cancer #80 No Trend 2:47
  8. Untitled #79 Untitled 5:27
  9. Protest Music #78 Ornament 6:40
  10. HD Hachoir #77 Quartz Locked 5:50
  11. f = (2.5) #76 Carter Tutti Void 9:11
  12. Called Again #75 Philip Jeck 2:56
  13. Bus Station #74 Shit And Shine 3:02
  14. Bye Bye Butterfly #73 Pauline Oliveros 8:04
  15. Nosedive #72 Nurse With Wound 6:21
  16. UrShadow / As Real As Rainbows (Alternative Version) #71 Current 93 12:40
  17. L'Enfant Dilaté #70 France Sauvage 3:28
  18. She's Lost Control #69 Joy Division 3:57
  19. Transit #68 Klangwart 2:59
  20. Finis Terra #67 Nurse With Wound 9:29
  21. The Worm Within #66 Nurse With Wound - G. Bowers 5:37
  22. Letter from Topor #65 Nurse With Wound / Aranos 17:49
  23. Despair #64 SPK 4:46
  24. Brainticket Part I #63 Brainticket 8:21
  25. As the Veneer of Democracy Starts to Fade #62 Mark Stewart 5:37
  26. Wisecrack #61 Nurse With Wound 4:52
  27. Magnetotactic #60 Mika Vainio 7:04
  28. Trace #59 Christian Fennesz 5:49
  29. Hearing metal 2 #58 Michael Pisaro 2:30
  30. Ash on The Trees #57 SunnO)) meets Nurse With Wound 17:09
  31. ... a life as it now is, #56 G. Bowers / Nurse With Wound 16:10
  32. Carnival Foods #55 ATROX 7:42
  33. Ohayo death, goodbye the earth #54 Kirihito ft Sakamoto Hiromichi 4:42
  34. Station 15.Room 3.064 - Part 3 #53 Mika Vainio 8:16
  35. Mercy #52 Wire 5:46
  36. Flamenko rak #51 Nurse With Wound 0:53
  37. Inheritance of H - Vol.11 - Track 05 #50 Artificial Memory Trace 4:14
  38. Radioactivity #49 Kraftwerk 6:43
  39. A doorway is a membrane wet with each passing #48 Brandon Labelle
  40. Size #47 D.N.A. 2:13
  41. Dawn #46 Artificial Memory Trace
  42. Delphinus.delphis #45 Artificial Memory Trace
  43. popul_elasticity #44 Artificial Memory Trace
  44. 8:44 am : 3:17 #43 Artificial Memory Trace
  45. Ark #42 Philip Jeck
  46. Desert_Island_Discs #41 Janek Schaefer & Philip Jeck 16:34
  47. Mealy - Mouthed #40 Nurse With Wound 12:08
  48. Revenge Of The Selfish Shellfish #39 Steven Stapleton / Tony Wakeford 3:43
  49. Roma A.D. 2727 #38 Mika Vainio 4:14
  50. Close to you #37 Nurse With Wound 15:08
  51. Prolétariat & industrie #36 Vivenza 8:58
  52. Singta #35 Artificial Memory Trace 24:35
  53. Ujellus #34 Lucio Capece / Mika Vainio 3:24
  54. Solsbury Hill #32 Brandon LaBelle 7:07
  55. Extended Play #31 Janek Schaefer 4:00
  56. Groove Grease (Hot Catz) #30 Nurse With Wound 4:08
  57. Scarlett arrives #29 Janek Schaefer 5:10
  58. Tourist with pendulum #28 The Hafler Trio 22:31
  59. Neum #27 Frank Dommert 16:14
  60. Mourning smile #26 Nurse With Wound 5:12
  61. Dans la nuit du souterrain scientifique #25 ddaa 21:11
  62. Timeless does not mean indestructable #24 The Hafler Trio 4:37
  63. Hampaat- Teeth - Part 1 #23 Mika Vainio 3:54
  64. Between the Two #22 Janek Schaefer 5:55
  65. Swimming Pool #21 Jacob Kirkegaard 13:30
  66. Shipwreck Radio Volume Two (Gulls Just Wanna Have Fun) - Track 05 #20 Nurse With Wound 9:35
  67. Nivelles #19 This Heat 5:47
  68. aeo3 / aeo3 #18 aeo3 32:34
  69. Sala santa cecilia #17 Fennesz - Sakamoto 19:00
  70. Baikal ice flow split 1 #16 Peter Cusack 3:38
  71. Ala #15 Jacob Kirkegaard 6:12
  72. Psychoegoautocratical Auditory Physiogomy Delineated #14 TAGC 16:28
  73. What's History #13 Genesis P-Orridge & Stan Bingo 38:38
  74. The Hafler Trio - Starfall 22.9 #12 :Zoviet*France: - Jim O'Rourke - The Hafler trio 15:42
  75. MedeaMaterial #11 Pascal Dusapin 4:26
  76. Baum - Live Nantes #10 Baum 31:24

Radio Mulot