Cahier de citations
Je veux me battre
pour jouir mieux, non pour souffrir moins.
Qui renonce
à ses désirs meurt du venin des vérités mortes.
J’allais donc devoir tout faire
pour ne pas laisser de moi une image fausse, fût-elle vraisemblable. Je savais que nul n’est capable de se connaître entièrement et d’entièrement se montrer. Nous sommes des animaux mimétiques, dont l’astuce et l’intrinsèque lâcheté s’accordent journellement à la couleur des circonstances, et nous nous déguisons d’abord, avant de nous analyser. En outre, nous sommes pervers de naissance. Pour un propos honorable, que de feintes, que de succédanés, de contrefaçons ! J’étais décidé, cependant, à aller jusqu’au bout de ma détermination. A descendre au plus profond, et à enserrer dans la rigueur de l’écrit la sincérité de mes pensées et de mes sentiments. Plus cette rigueur serait exigeante, et plus la marge laissée au truquage serait étroite.
L’être
est l’unique conditionnel.
Certes,
moi aussi je réprouve le fait par lequel un homme s’empare violemment et avec ruse du fruit du labeur d’autrui. Mais c’est précisément pour cela que j’ai fait la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres. Moi aussi je voudrais vivre dans une société où le vol serait banni. Je n’approuve et n’ai usé du vol que comme moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols : la propriété individuelle.
On ne pense plus autrement
que montre en main, comme on déjeune, le regard fixé sur les bulletins de la Bourse – on vit comme quelqu’un qui sans cesse “pourrait rater” quelque chose. “Faire n’importe quoi plutôt que rien” – ce principe aussi est une corde à étrangler toute culture et tout goût supérieurs. Et de même que visiblement toutes les formes périssent à cette hâte des gens qui travaillent, de même aussi périssent le sentiment de la forme en soi, l’ouïe et le regard pour la mélodie du mouvement. La preuve en est cette grossière précision, que l’on exige partout à présent dans toutes les situations où l’homme voudrait être probe avec les hommes, dans les contacts avec les amis, les femmes, les parents, les enfants, les maîtres, les élèves, les chefs et les princes – on n’a plus de temps ni de force pour des manières cérémonieuses, pour de la courtoisie avec des détours, pour tout l’esprit de la conversation et pour tout otium* en général. Car la vie à la chasse du gain contraint sans cesse à dépenser son esprit jusqu’à épuisement alors que l’on est constamment préoccupé de dissimuler, de ruser ou de prendre l’avantage : la véritable vertu, à présent, c’est d’exécuter quelque chose en moins de temps que ne le ferait un autre.
* “Loisir”
Pour qu’il y ait de l’art,
pour qu’il y ait un acte et un regard esthétique, une condition physiologique est indispensable : l’ivresse. Il faut d’abord que l’excitabilité de toute la machine ait été rendue plus intense par l’ivresse. Toutes sortes d’ivresse, quelle qu’en soit l’origine, ont ce pouvoir, mais surtout l’ivresse de l’excitation sexuelle, cette forme la plus ancienne et la plus primitive de l’ivresse. Ensuite l’ivresse qu’entraînent toutes les grandes convoitises, toutes les émotions fortes. L’ivresse de la fête, de la joute, de la prouesse, de la vistoire, de toute extrême agiattion : l’ivresse de la cruauté, l’ivresse de la destruction – l’ivresse née de certaines conditions météorologiques (par exemple le trouble printanier), ou sous l’influence de stupéfiants, enfin l’ivresse de la volonté, l’ivresse d’une volonté longtemps retenue et prête à éclater. – L’essentiel, dans l’ivresse, c’est le sentiment d’intensification de la force, de la plénitude. c’est ce sentiment qui pousse à mettre de soi-même dans les choses, à les forcer à contenir ce qu’on y met, à leur faire violence.
Il est nécessaire
de temps en temps de nous délasser de nous-mêmes ou de pleurer sur nous : de déceler le héros et non moins le bouffon qui se cachent dans notre passion de connaître, de jouir de temps en temps de notre folie pour continuer à jouir de notre sagesse !