l’idée selon laquelle la naissance de la photographie détruit une certaine façon de peindre. Nadar tue Ingres et accélère l’holocauste de ces peintres qui, tel Zeuxis, visent la représentation la plus absolument fidèle de la réalité. Les sels d’argent créent une révolution esthétique. Les impressionnistes répondent à la demande et résolvent l’aporie entr’aperçue : ils ne peignent plus le sujet mais la lumière. L’effet de la lumière sur le monde. Prétextes de cathédrales, de meules de foin, de garrigues : seules importent dès lors l’énergie, la force des luminosités. En route pour l’abstraction…
Etrangement, on ne procède jamais à rebours et l’on ne se demande pas comment photographier après cette secousse esthétique. Le tirage bromuré abolit la toile figurative, certes, mais après ? Quand une autre manière de peindre prend son tour, de quelle façon dès lors photographier ? Que faire avec son matériel sur trépied, ses plaques, puis ces appareils qui, en devenant portatifs, maniables, rapides, révolutionnent la manière de penser en termes d’image ?
L’étymologie répond. Photographier, c’est écrire avec la lumière. Autrement dire : viser un usage lumineux du monde. Lumineux à tous les sens du terme : en maîtrisant la lumière, évidemment, mais aussi en rendant le monde plus éclatant, plus visible. L’artiste a désormais le devoir de produire une épiphanie du monde, créer une réalité, capter et capturer non pas son essence, mais son existence. Pas d’art aussi peu platonicien que la photographie… La chambre obscure ne réactive pas l’allégorie de la caverne, mais le nominalisme cynique en vertu de quoi le réel coïncide avec son mode d’apparition. Le photographe, le bon, triomphe en démiurge de cette superposition.