Cahier de citations
Le deuxième point dégagé par Jon Savage est la notion d’accès à l’information,
dans le sens où la majorité des groupes industriels seront d’abord soucieux de parasiter le processus de contrôle que permettent les mass-médias, reprenant à leur compte les théories de William Burroughs sur la guerre de l’information, sorte de version moderne des guerres territoriales d’autrefois, permise par les avancées technologiques de l’époque, qui mèneraient (comme Burroughs l’avait également bien pressenti) à l’invention du cyberespace quelques années plus tard, qui rappelons-le a d’abord été créé à des fins militaires. D’où une tendance particulièrement marquée à puiser sans vergogne dans les discours (et les images) diffusés dans les médias populaires (radio, cinéma et télévision), à les sortir de leur contexte pour les réintégrer sous forme de samples, souvent mis en boucles, dans les oeuvres musicales, afin d’en révéler le caractère propagandiste, qu’il s’agisse de discours politiques, de prose journalistique, de publicités ou de documentaires de tous ordres. L’industriel sera une musique où l’on chante peu, nombre de formations étant d’expression essentiellement instrumentale, mais où l’on parle beaucoup, où ça parle beaucoup, saturée de messages de toutes provenances, choisis tant pour leur contenu que leur couleur à l’oreille. Leur accumulation, leur imbrication les uns dans les autres n’ont bien souvent pas d’autre fonction que de révéler leur équivalence fondamentale, destinée à maintenir le système de régulation sociale en place. Cette réappropriation de discours existants n’est bien sûr pas sans rappeler les méthodes de détournement exploitées par les situationnistes, à cette différence près qu’elles sont appliquées à des oeuvres musicales, et que la matière de base exploitée est le plus souvent d’une nature en soi sulfureuse (alors que chez les situationnistes elle était généralement inoffensive et/ou insignifiante).
Mais parallèlement à ces procédés récurrents, il faut également remarquer cette propension propre à certains groupes à développer leur propre organe d’informations, par voie d’imprimés périodiques ou plus ponctuels, proposant des articles traitant de sujets soigneusement passés sous silence dans les médias officiels, avec une prédilection pour tout ce qui à l’époque était considéré comme plus ou moins tabou, du nazisme aux théories conspirationnistes en passant par les pratiques sexuelles extrêmes, les méthodes modernes de torture, les expériences médicales sur les animaux ou sur les hommes, les armes à feu, les tueurs en série, les gourous de secte, le terrorisme, etc., l’ensemble révélant un goût prononcé pour le morbide, le glauque, la violence et la folie, personnelle et collective. Si de telles publications n’échapperont pas toujours à une certaine complaisance, elles témoignent cependant aujourd’hui encore d’une réelle et profonde révolte face à la réalité des rapports sociaux, perçus uniment comme des modes de conditionnement et de répression des individus, destinés à s’assurer son contrôle et son obéissance, et viseront d’abord à informer le public d’un état d’oppression d’autant plus intolérable qu’il est généralisé.
Le premier principe, qui n’en est pas vraiment un mais plutôt un état de fait,
c’est que tous les groupes industriels, au moins à leurs débuts, furent vis-à-vis de l’industrie du disque tout à fait autonomes, faisant paraître leurs disques sur leur propre label ou au mieux sur des labels indépendants. Parce que l’industriel apparaîtra sensiblement au même moment que le punk, son histoire sera comme lui liée à l’émergence d’un réseau foisonnant de labels et de distributeurs indépendants montés souvent avec des fonds dérisoires, en réaction à l’hégémonie déjà acquise des majors, perçues comme parfaitement inutiles et uniquement intéressées par le profit. La musique industrielle dans son ensemble, de par sa nature et les compétences musicales souvent inexistantes des groupes, ne fut de toute façon guère concernée par ce genre de considérations. Signer sur une major, en dehors même du choix de principe que cela suppose, nécessite tout de même un brin de professionnalisme, de soif de succès auprès du grand public également (laquelle implique généralement concessions et obéissance à des stratégies commerciales éprouvées), et d’être aguerri aux méthodes d’enregistrement les plus modernes (et donc les plus chères). Bref, signer sur une major, beaucoup plus à cette époque qu’aujourd’hui où tout n’est qu’affaire de campagnes publicitaires et de poudre aux yeux, suppose d’avoir déjà atteint une certaine notoriété, d’être sorti de l’underground et d’avoir atteint à une reconnaissance par un public déjà large, ce qui ne sera le cas de quasiment aucun des groupes d’obédience industrielle. Sans compter que, de toutes manières, la production musicale des groupes ne pouvait être interprétée autrement que comme un bruit inorganisé par les directeurs artistiques de ces maisons. Car le genre industriel, s’il sera d’abord une contestation de la société de consommation et de l’information dans laquelle il est apparu, n’aura de cesse également de lutter contre la standardisation des oeuvres musicales imposées par les grands circuits de distribution, considérées par ceux-ci comme des marchandises comme toutes les autres, devant répondre à des normes précises afin de satisfaire aux besoins artificiellement créés chez le consommateur à force de matraquage et de méthodes de marketing agressif. Le terme même de “musique industrielle”, satirique et ironique chez TG, ne visait d’ailleurs pas à dire autre chose que cela, le groupe assimilant par dérision sa démarche même à ce qu’il entendait dénoncer.
Nous franchirons la porte rouge sang, couverte de givre.
Voilé d’or, le soleil diabolique de l’hiver guettera, blanc-rose, froid comme une balle. Elle pointera le menton et fera une moue gamine, ses hanches prendront leur élan. Raide, je l’entourerai de mon bras.
Alors, je balance ce carnet dans le vide : vole, chiffon !
Un mouvement si inattendu, l’air de grandeur et en même temps d’humilité qu’avait la figure du Trappeur,
et surtout le son ferme et clair de sa voix, produisirent sur toute l’assemblée un effet difficile à décrire, et qui parut un instant paralyser en quelque sorte toutes les facultés. Lorsque Middleton et Coeur-Dur, qui avaient étendu machinalement la main pour soutenir le vieillard, se retournèrent de son côté, ils virent que l’objet de leur sollicitude avait cessé pour jamais d’avoir besoin de leur secours. Ils replacèrent tristement le corps sur son siège, et le Balafré se leva pour annoncer à la tribu la fin de la scène. La voix du vieil indien semblait une sorte d’écho sortant de ce monde invisible vers lequel l’âme de l’honnête Trappeur venait de prendre son vol.
– Un juste, un sage, un vaillant guerrier est entré sur la route qui le conduira aux prairies de son peuple, dit-il. Quand la voix du Wahcondah l’appela, il fut prêt à répondre. Allez, mes enfants, rappelez-vous le brave chef des Visages Pâles, et ne laissez pas de ronces sur votre passage.
La tombe fut creusée sous l’ombrage solennel de quelques vieux chênes. Elle a été gardée soigneusement jusqu’à ce jour par les Pawnies-Loups, qui la montrent souvent aux voyageurs et aux marchands, comme l’endroit où dort un homme blanc, un juste. Quelque temps après, une pierre fut placée sur le tombeau, avec la simple inscription que le Trappeur avait demandée lui-même. La seule liberté prise par Middleton fut d’ajouter :
Qu’aucune main profane ne trouble jamais ses cendres.
Elisabeth leva la tête et approcha de lui sa joue pâle et mouillée de larmes.
Il ôta son bonnet et la toucha respectueusement de ses lèvres, Effingham lui serra la main avec une sorte de convulsion, sans pouvoir prononcer une parole. Le vieux chasseur serra alors sa ceinture et les courroies qui attachaient son paquet sur ses épaules, se prépara à partir, mais avec une sorte de lenteur qui prouvait combien cette séparation lui coûtait. Il essaya une ou deux fois de leur parler encore, mais il n’y put réussir. Enfin s’armant de résolution, il appuya son fusil sur son épaule, et s’écria d’une voix trop forte pour qu’on pût remarquer l’émotion qui l’agitait :
– Ici ! ici, Hector ! allons, en marche, mes enfants ! Vous avez du chemin à faire avant d’arriver à la fin de votre voyage.
Les deux chiens se levèrent en entendant sa voix, flairant autour des tombeaux et du couple silencieux, comme devinant leur départ, puis suivirent humblement les traces de leur maître. Pendant un moment de silence le jeune homme se cacha le visage sur la tombe de son aïeul ; mais quand l’orgueil de l’homme l’eut emporté sur la faiblesse de la nature, il voulut renouveler ses instances, mais il ne trouva plus dans le cimetière que sa femme et lui.
– Il est parti ! s’écria Effingham.
Elisabeth leva la tête et vit le vieux chasseur arrêté sur la lisière du bois, pour regarder encore un moment. En rencontrant les yeux d’Olivier et de son épouse, il passa sa rude main sur les siens, puis l’agita en l’air en signe d’adieu, et adressant un appel à ses chiens qui étaient à ses pieds, il entra dans la forêt.
Ce fut la dernière fois qu’ils virent Bas-de-Cuir. En vain M. Temple le fit chercher partout ; jamais on n’en eut aucune nouvelle. Il s’avançait vers le soleil couchant, le premier de cette troupe de pionniers qui ouvrirent aux Américains un chemin vers l’autre mer au travers du continent.
Au lieu d’apprendre à un ordinateur à exécuter une action,
comme conduire une voiture ou traduire un texte – objectif sur lequel des cohortes d’experts en intelligence artificielle se sont cassé les dents durant des décennies -, la nouvelle approche consiste à le gaver d’une quantité d’informations suffisante pour qu’il déduise la probabilité qu’un feu de circulation soit vert plutôt que rouge à chaque instant, ou dans quel contexte on traduira le mot anglais light par “lumière” plutôt que par “léger”.
Pareil usage suppose trois changements majeurs dans notre approche. Le premier consiste à recueillir et à utiliser le plus grand nombre possible d’informations plutôt que d’opérer un tri sélectif comme le font les statisticiens depuis plus d’un siècle. Le deuxième implique une certaine tolérance à l’égard du désordre : mouliner des données innombrables, mais de qualité inégale, s’avère souvent plus efficace qu’exploiter un petit échantillon impeccablement pertinent. Enfin, le troisième changement implique que, dans de nombreux cas, il faudra renoncer à identifier les causes et se contenter de corrélations. Ai lieu de chercher à comprendre précisément pourquoi une machine ne fonctionne plus, les chercheurs peuvent collecter et analyser des quantités massives d’informations relatives à cet événement et à tout ce qui lui est associé afin de repérer des régularités et d’établir dans quelles circonstances la machine risque de retomber en panne. Ils peuvent trouver une réponse au “comment”, non au “pourquoi”; et, bien souvent, cela suffit.
“L’éthique biophile a ses propres principes de bien et de mal.
Le bien est tout ce qui sert la vie ; le mal est tout ce qui sert la mort. Le bien est le respect de la vie, de tout ce qui met la vie, la croissance, l’épanouissement en valeur. Le mal est tout ce qui étouffe la vie, la rétrécit, la met en pièces”. Voilà un programme éthique et politique, psychanalytique et socialiste toujours d’actualité – sinon d’un terrible urgence…
– Tout cela est très bien, mon cher ami ; pensons à présent à mon pauvre frère.
Quoiqu’il soit soldat, il me semble que nous ne pouvons pas le laisser filer son câble sans un mot de consolation et une parole d’adieu. Cette affaire a été malheureuse sous tous les rapports : au surplus, c’est ce qu’on devait attendre en considérant l’état des choses et la nature de la navigation. Il faut tâcher de nous en tirer le mieux possible et d’aider le digne homme à démarrer sans trop tendre ses tournevires. La mort n’est qu’une circonstance après tout, maître Pathfinder, et c’en est une d’un caractère très général, puisque nous devons tous nous y soumettre tôt ou tard.
– Vrai, très vrai, et c’est pour cette raison qu’il me paraît sage d’être toujours prêt. J’ai souvent pensé, Eau-Salée, que le plus heureux est celui qui a le moins à laisser derrière lui quand l’heure du départ arrive. Me voici par exemple, moi, simple chasseur, coureur, guide, n’ayant pas un pouce de terre, que je puisse dire à moi, et cependant jouissant et possédant plus que le grand patron d’Albany, avec le ciel sur ma tête pour me faire souvenir de la dernière grand-chasse, et quand j’ai les feuilles sèches sous mes pieds, je foule le sol aussi librement que si j’en étais le seigneur et maître. Que puis-je désirer de plus ? Je ne prétends pas ne rien aimer de ce qui appartient à la terre, car il s’y trouve quelques objets que j’aime, mais seulement un peu, si ce n’est Mabel Dunham, et je ne puis les emporter avec moi. J’ai dans le fort quelques chiens dont je fais beaucoup de cas ; mais ils font trop de bruit pour un temps de guerre, ce qui nous force de vivre séparés pendant qu’elle dure ; puis je pense qu’il me serait pénible de quitter Tue-Daim, mais je ne vois nulle raison pour ne pas nous mettre dans la même tombe, car nous sommes aussi près que possible de la même taille, – six pieds à l’épaisseur d’un cheveu près ; mais hormis ces choses, une pipe que le sergent m’a donnée et quelques souvenirs reçus des voyageurs, et que je puis mettre tous dans un sac, qui sera placé sous ma tête, quand l’ordre viendra de marcher, je serai prêt à la minute ; permettez-moi de vous dire, maître Cap, que c’est ce que j’appelle aussi une circonstance.
– Je pense absolument de même, dit le marin ; – et tous deux se dirigèrent vers le fort beaucoup trop occupés de leurs idées morales pour se rappeler le triste devoir qu’ils allaient remplir.