Cahier de citations
Une résistance permanente, oui;
une construction de son existence pour éviter qu’elle constitue un rouage du fonctionnement de la machine néfaste, c’est encore mieux, mais dans la réalité, on doit se concerter, associer des forces, augmenter les chances de faire triompher son idée : ralentir, freiner, arrêter, stopper, rendre la machine inefficace et inutilisable. De l’inertie au sabotage.
Le matérialisme conduit à la sérénité.
La mort suppose l’abolition de l’agencement de ce qui nous permet de jouir ou de souffrir. Rien à craindre donc de la mort. C’est avant qu’elle produit ses effets : en nous terrorisant à l’idée de ce qui nous attend. Mais ne présentifions pas la négativité. Le moment venu suffira bien assez. L’essentiel consiste à ne pas mourir de son vivant – ce qui n’est pas le cas d’un certain nombre de personnes mortes depuis bien longtemps pour n’avoir jamais appris à vivre, donc pour n’avoir jamais vraiment vécu.
Mon frère
avait cessé de faire des photos parce qu’il estimait qu’elles ne rendaient pas justice à la vérité. Il serait plus exact de dire qu’il se sentait aujourd’hui trahi par ces documents auxquels il avait accordé, par le passé, une confiance, une foi totales.
La photo n’avait jamais été pour lui un passe-temps ni un art. Il considérait ses clichés comme des documents devant témoigner de la réalité objective, de la vérité d’une époque. La photo, c’était, selon lui, un oeil objectif qui donne à voir avec une parfaite exactitude ce qui se passe à un moment donné, en un lieu donné.
Il venait de se rappeler
qu’il avait beaucoup parlé, que pendant longtemps il ne s’était pas gêné de dire ce qu’il pensait, qu’encore aujourd’hui il lui arrivait de ne pouvoir se retenir. Jusqu’à présent, cette loquacité n’avait pas pu tirer à conséquence, mais voilà tout à coup, au moment d’agir, il lui apparaissait que le monde entier connaissait ses projets. Il pensa alors, pour se redonner du courage, qu’au fond les gens ne nous jugent pas d’après ce que nous avons dit – eux-mêmes ont dit tant de choses – mais d’après ce que nous disons dans le moment présent.
Dans un dernier élan,
je veux me plonger dans mon roman monstrueux et bourré de défauts, que je tente désespérément et sans succès d’améliorer un peu. Un atroce pavé probablement sans remède que je cherche à rendre encore plus monstrueux et horrible. Comment trouves-tu mon dernier poème ? Je me sens capable d’en écrire cinq ou sept ou huit par jour. Ce que j’aimerais, au fond, c’est être une force de la nature comme Quevedo et être capable d’écrire dix livres par an. J’ai tant à dire ! Et plus j’en dis, plus le vase déborde de mots, de phrases, d’images, de vies et d’abîmes. C’est un puits toujours plein, une sorte de geyser. Je ne devrais rien faire d’autre, je voudrais ne rien faire d’autre.
Tout cela est triste et obsolète.
Te souviendras-tu encore de moi ? Parfois même moi, je ne me souviens plus de moi. Je me regarde dans la glace et c’est un étranger que je vois. Pourtant extérieurement je suis toujours le même, je crois. C’est intérieurement que j’ai changé. Mon propre silence me surprend, tout comme ma voix. Je parle peu, et tout ce que je dis, je le prononce sur un ton sec et mélancolique, qui n’était pas le mien. J’ai toujours une ride sur le front et un pli amer au coin de la bouche.
J’ai interrompu
ma lettre parce qu’une pluie d’obus vient de s’abattre sur la plaine. Je reprends.
Ce qui me pèse
le plus dans l’obscénité, c’est son triste défaut d’imagination.