Cahier de citations
L’amour des autres
commence par l’amour de soi. Se caresser et caresser les autres, n’est-ce pas le début de toute communication authentique, de tout contact vraiment humain ? La raison des amours se moque de la raison marchande.
La jouissance dissout la séparation, le devoir, l’échange. Elle veut un monde qui crée son unité par la caresse, du langage aux gestes, de la musique aux parfums. Ne le pressentez-vous pas chaque fois qu’il vous est donné d’aimer sans contrepartie, de ne pas vous soucier d’être aimé pour aimer ?
Si le hasard
des rencontres m’offre ton amour et t’offre le mien, ne va pas réduire à un échange l’harmonie de nos désirs. Il n’y a d’échange que de mauvais procédés. Ai-je besoin d’être aimé pour aimer ? Ai-je donc si bien appris à m’aimer si peu ? Qui n’est pas rempli de ses propres désirs ne peut rien donner. Qui va donnant-donnant va doucement vers l’ennui, la fatigue et la mort.
Je peux tout dés l’instant où je n’attends rien, où je ne dois rien. Quoi que ce soit que tu me demandes, tu risques de me trouver démuni. J’ai plus à offrir à qui n’espère rien de moi.
Je veux me battre
pour jouir mieux, non pour souffrir moins.
Qui renonce
à ses désirs meurt du venin des vérités mortes.
J’allais donc devoir tout faire
pour ne pas laisser de moi une image fausse, fût-elle vraisemblable. Je savais que nul n’est capable de se connaître entièrement et d’entièrement se montrer. Nous sommes des animaux mimétiques, dont l’astuce et l’intrinsèque lâcheté s’accordent journellement à la couleur des circonstances, et nous nous déguisons d’abord, avant de nous analyser. En outre, nous sommes pervers de naissance. Pour un propos honorable, que de feintes, que de succédanés, de contrefaçons ! J’étais décidé, cependant, à aller jusqu’au bout de ma détermination. A descendre au plus profond, et à enserrer dans la rigueur de l’écrit la sincérité de mes pensées et de mes sentiments. Plus cette rigueur serait exigeante, et plus la marge laissée au truquage serait étroite.
L’être
est l’unique conditionnel.
Certes,
moi aussi je réprouve le fait par lequel un homme s’empare violemment et avec ruse du fruit du labeur d’autrui. Mais c’est précisément pour cela que j’ai fait la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres. Moi aussi je voudrais vivre dans une société où le vol serait banni. Je n’approuve et n’ai usé du vol que comme moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols : la propriété individuelle.
On ne pense plus autrement
que montre en main, comme on déjeune, le regard fixé sur les bulletins de la Bourse – on vit comme quelqu’un qui sans cesse “pourrait rater” quelque chose. “Faire n’importe quoi plutôt que rien” – ce principe aussi est une corde à étrangler toute culture et tout goût supérieurs. Et de même que visiblement toutes les formes périssent à cette hâte des gens qui travaillent, de même aussi périssent le sentiment de la forme en soi, l’ouïe et le regard pour la mélodie du mouvement. La preuve en est cette grossière précision, que l’on exige partout à présent dans toutes les situations où l’homme voudrait être probe avec les hommes, dans les contacts avec les amis, les femmes, les parents, les enfants, les maîtres, les élèves, les chefs et les princes – on n’a plus de temps ni de force pour des manières cérémonieuses, pour de la courtoisie avec des détours, pour tout l’esprit de la conversation et pour tout otium* en général. Car la vie à la chasse du gain contraint sans cesse à dépenser son esprit jusqu’à épuisement alors que l’on est constamment préoccupé de dissimuler, de ruser ou de prendre l’avantage : la véritable vertu, à présent, c’est d’exécuter quelque chose en moins de temps que ne le ferait un autre.
* “Loisir”