Regarder le monde lui a sans doute été difficile dès le départ.

Sur une photo de 1919 on distingue parmi une foule d’enfants pauvres du voisinage le visage grave d’un enfant de cinq ans. Il distinguait tout assez vaguement. Même son père, le sergent supérieur de police Friedrich Otto Schmidt, il ne le voyait « au-delà de 20 m que comme une tâche bleue » – Arno Schmidt était très fortement myope. Né à Hambourg le 18 janvier 1914, il fut élevé avec sa soeur Lucie, de 3 ans son ainée, sa mère et son père dans un logement étroit de 2 pièces, une sorte de barge avec la cuisine comme centre.

Et pendant que cette oeuvre démesurée,

attendue fébrilement par les lecteurs malgré un prix de vente presque prohibitif, les rendait impatients, les compte-rendus, les hommages, les critiques et les contrefaçons apparurent ; pendant que dans l’auberge du petit village de Bargfeld près de Celle, un syndicat des déchiffreurs d’Arno Schmidt (ASDS) se démenait sous la conduite de l’universitaire Jörg Drews pour décoder les nombreux détails et allusions littéraires du livre, à 200 mètres à peine de là, dans sa maisonnette de lotissement, l’auteur s’attaquait depuis longtemps à sa prochaine oeuvre. Le travail était pour lui ce qui était le plus digne d’intérêt.

Arno Schmidt à Bargfeld

Un grand jour

Pendant longtemps, il avait rigoureusement gardé le silence. Même Ernst Krawehl, son éditeur chez Stahlberg, ne savait rien du contenu et de la structure de l’œuvre. Le 15 mai 1969 enfin, l’écrivain Arno Schmidt lui présenta un grand carton maintenu avec un cordon de rideau. « Zettels Traum » était né, un monstre de 1334 pages grand format, subdivisées en trois colonnes, complété par d’incalculables parenthèses, annotations, dessins de l’auteur, résultat de longues années d’isolement et d’étranges fichiers comprenant 120.000 fiches systématiquement classées – un travail de Titan !