29 octobre 2014 | cahier de citations
Je suis de plus en plus convaincu que tout ce qui nous éjecte de chez nous est bon et que tout ce qui nous y enferme – « la petite maison, c’est confortable » – est mortel. Aller au cinéma, c’est traverser la rue, faire la queue, fumer une cigarette dans le vestibule, acheter des pralines pour gêner son voisin pendant le film, jouir de la vue des genoux exhibés par la jeune voisine qu’un heureux hasard a bien voulu placer à nos côtés, entendre les toux, les rires mal à propos, des cris de panique… Aller au cinéma, c’est applaudir lorsque le héros vient racheter la jeune fille séquestrée par les « Commanches ». La grâce du cinéma tient de cette révélation faite à un groupe – au moins je le crois : nous ne pouvons pas arrêter, répéter ni interrompre une manifestation qui vient des hauteurs. Le cinéma n’est pas un divertissement individuel que je contrôle au gré de mes humeurs. Voir un film tout seul à la maison c’est un peu comme s’enivrer à l’eau de javel dans sa cuisine. La télévision nous soumet en revanche à des horaires et elle est aussi fugitive que le vrai cinéma. Mais la vidéo nous livre à nos caprices privés et nous ne serons jamais aussi angoissés que lorsque nous restons seuls avec nous-mêmes. Faust demanda à Méphidtophèles un moment assez beau pour qu’il puisse crier : « Arrête-toi ! » c’est ainsi qu’il tua Marguerite…
29 septembre 2014 | cahier de citations
des coteaux plantés de vergers fleuris, la pluie, la neige et le soleil, l’automne, l’été, l’hiver, le printemps orageux, fantasque, riche en idées, un cerisier en fleur dans une verdure pluvieuse, une ferme dans la torpeur de midi, un torrent écumant, serti dans le vert sombre d’une forêt et d’une gorge, un flanc de montagne jaune pâle et ensoleillé (Vosges), et puis, un simple petit bout de pré émaillé de fleurs ou une friche dans la radieuse lumière du matin, humide et chatoyante, resplendissant joyeusement. Dans une espèce d’école d’art, il dessina d’après modèles des enfants, des femmes et des hommes. La nature et la peinture s’ouvraient à lui comme un infini. Ses maîtres témoignaient de son zèle et de talent. Sur sa requête, l’Etat lui alloua une modique allocation à titre d’encouragement, mais l’art est une paroi vertigineuse, et celui qui donne un peu d’argent ou quelques conseils à un artiste qui en entreprend l’ascension, n’est que rarement, ou point du tout conscient de la minceur de ce qu’il est en mesure d’offrir, en regard des difficultés qui se dressent devant l’âme et l’intelligence de cet artiste, et au travers desquelles son coeur devra se frayer un passage. Osons affirmer que les gens sur lesquels tombe, comme une pluie régulière, un salaire mensuel ou annuel, situation des plus agréables il va sans dire, que ces gens, donc, ne peuvent que malaisément se faire une idée de l’existence risquée de l’artiste indépendant. L’indépendance et la liberté supposent un combat âpre et continuel.
25 août 2014 | cahier de citations
elles provoquaient facilement des hallucinations et, dans bien des cas, elles étaient plus terrifiantes que les ténèbres extérieures. Les manifestations de spectres ou de monstres n’étaient somme toute que des émanations de ces ténèbres, et les femmes qui vivaient en leur sein, entourées de je ne sais combien de rideaux-écrans, de paravents, de cloisons mobiles, n’étaient-elles pas elles-mêmes de la famille des spectres ? Les ténèbres les enveloppant dans dix, dans vingt épaisseurs d’ombre, elles s’insinuaient en elles par le moindre interstice de leur vêture, par le col, par les manches, par le bas de la robe.
Mieux, elles devaient parfois à l’inverse, qui sait, se dégager du corps même de ces femmes, de leur bouche aux dents peintes, de la pointe de leur noire chevelure comme autant de fils d’araignée, de ces fils que crachait la maléfique « Araignée-de-terre ».
22 août 2014 | cahier de citations
Ni le bien ni la beauté ne sont des propositions inaltérables, éternelles, qui nous guettent à l’extérieur de la caverne de cette fugacité où se déroule l’histoire que nous incarnons. Ne nous acharnons pas à vouloir sortir de cette caverne, et ne croyons pas ceux qui disent qu’ils en sont sortis et qui se vantent d’y être retournés pour nous éblouir avec l’impalpable. Choisissons une humble tentative d’amélioration de ce qui nous semblera toujours d’une certaine façon imparfait, plutôt que de repousser avec un découragement coupable ou de tenter de lui donner une gigantesque importance jusqu’à ce que son énormité inhumaine nous accable. La seule façon, compatible avec notre contingence, de multiplier les biens que nous apprécions, c’est de les échanger, de les partager, de les communiquer à nos semblables, afin qu’ils rebondissent avec eux et qu’ils reviennent vers nous chargés d’un sens rénové. Elle est triviale cette démesure qui prétend hisser n’importe quelle signification jusqu’à une totalité qui romprait nos multiples rapports fragmentaires, partiels et successifs avec ceux qui nous regardent dans les yeux depuis la même stature que nous. Ce qui nous sauve – à nos yeux, du moins – de la non-signification réside précisément dans les prudents égards que nous manifestons à ce que nous admirons en prenant garde de ne pas le modifier. Et aussi dans la façon que nous avons de ne pas nous résigner à ses habitudes ou à sa médiocrité : l’acceptation joyeuse de la contingence n’empêche pas de lutter pour l’excellence. Nous n’entendons pas par excellence la recherche de quelque absolu (l’excellence obtenue serait tout aussi contingente que la médiocrité dépassée), mais plutôt la soif d’aller au-delà et de perfectionner ce que nous avons réussi… sans jamais franchir les limites que définit et marque le sens auquel nous pouvons prétendre.
21 août 2014 | cahier de citations