17 novembre 2013 | cahier de citations
Dans le métro je lève la tête du livre et
oh… il tient des fleurs pas pour moi
et une boîte à gâteaux
pas pour moi… une fois de plus où un visage est un dangereux
débarquement d’espérance
par ex. nous ne sommes pas déserts de demains… la preuve tu es
là… débutant à la lisière
des actes humains et ta peur de revenir
sans sourires… ça va aller… sinon je pourrais
à la place t’entourer d’affection… inventer
des canapés de lumière
les installer bien soigneux dans le fond
d’accueil de mes chambres intérieures où je prie allongé contre
la tendresse du dasein ou tout autre impression de tiédeur
7 octobre 2013 | cahier de citations
la quasi totalité des groupes useront de ce que Jon Savage désigne sous le nom de tactique de choc. Concept assez vague en soi, mais dont l’intitulé est tout de même assez parlant pour imaginer de quoi il retourne exactement. L’idée de choquer un public potentiel, de le faire sortir de son statut de spectateur passif en le prenant à parti agressivement, en le violentant, en testant les limites de sa tolérance, n’aura bien sûr pas été l’apanage du seul mouvement industriel. Les exemples abondent dans l’histoire de l’art du XXe siècle qui auront usé de telles méthodes, devenues au fil du temps une sorte de procédé, de parcours obligé, perdant du coup toute efficacité et parfois même toute signification (le scandale envisagé comme une fin en soi), au point que même la publicité considère aujourd’hui qu’il s’agit là d’un moyen comme un autre de parvenir à ses fins. La tactique de choc employée par les groupes industriels, en dehors même des formes qu’elle a pu revêtir, a eu ceci de singulier de n’avoir été envisagée comme une technique de vente. Elle fait partie intégrante du message lui-même, message qui justement ne sera jamais clairement explicité (sauf dans le cas de Test Dept par exemple) puisque la fonction première de la tactique de choc est d’amener le public à s’interroger, d’ailleurs pas tant sur la nature et le sens de ce qu’on lui soumet que sur lui-même, sur son propre rapport et ses propres réactions (d’accréditation ou de rejet, peu importe au fond) en face d’une réalité brutalement révélée, une réalité présentée comme immédiatement insupportable. Les jeux sur les interdits (sociaux, politiques, sexuels, etc), la provocation gratuite ou pas, la violence dirigée contre le public, l’utilisation de visuels de sinistre mémoire, associés à la dureté de la musique même, n’ont pas d’autre finalité dans la logique industrielle que d’amener le public à faire un retour sur lui-même, à briser la carapace que chacun se forge pour conserver son intégrité émotionnelle (comme on parle d’intégrité physique), le forçant à se poser des questions sur son rapport au monde et à la sinistre réalité de ce dernier. D’où l’abondance dans l’iconographie des groupes (images projetées en concert ou pochettes des disques eux-mêmes) d’éléments morbides, malsains, répugnants, d’ailleurs souvent tirés d’archives historiques, policières ou médicales, également de publications à caractère pornographique ‘avec pour celles-ci une prédilection pour le sadomasochisme), donnant à voir un monde où tout n’est que mort en masse, torture, folie et souffrance. Autant d’éléments qui créeront progressivement tout un folklore industriel, une esthétique du pire, aussi bien une attitude propre au genre, qui trouveront d’ailleurs des répercussions dans d’autres modes d’expression que la seule musique (d’où le titre de Industrial Culture Handbook, qui soulignait cette dimension-là). Mais la tactique de choc est d’ailleurs beaucoup plus intéressante à analyser du point de vue de son caractère stratégique plutôt que celui de la nature des matériaux utilisés pour produire le choc en question.
4 octobre 2013 | cahier de citations
En effet, l’aspect visuel, particulièrement lors des performances live, est tout aussi important que la musique elle-même, et nombre de formations joindront l’image au son via des projections diffusées en fond de scène, cette démarche allant dans le même sens que l’accès à l’information évoqué plus haut. Souvent très violents, parfois assez insoutenables (comme chez SPK notamment), ces montages vidéo contribueront grandement, en plus du volume sonore généralement assourdissants des concerts, au parfum de scandale entourant certains groupes. Car le caractère souvent malsain, très dérangeant en tout cas, de ces images est accentué souvent par leur piètre qualité, qui leur confère un côté amateur finalement plus efficace, plus actif sur le spectateur qu’un travail professionnel. A ces images viennent également s’ajouter d’autres éléments extra musicaux, littéraires notamment. La mouvance industrielle sera très friande de manifestes, de tracts et de textes théoriques, insérés souvent dans les disques eux-mêmes. En réaction à l’esprit de dilettantisme, de « non-sérieux » propre au rock en général, la grande majorité des groupes feront preuve d’un grand souci de théorisation de leur démarche, et useront d’une terminologie plus ou moins heureuse (parfois simple aménagement de notions philosophiques plus anciennes, mais aussi pour certains véritable construction intellectuelle personnelle) pour faire connaître au public leur vision du monde et les moyens envisagés pour le renverser. Il faut remarquer également que beaucoup de groupes, en plus des images diffusées et des discours théoriques, apporteront un soin tout particulier à la mise en scène lors de leurs apparitions sur scène, utilisant des dispositifs d’éclairage souvent impressionnants et ou orientant leurs prestations dans le sens de la performance plutôt que du concert au sens strict, voire du véritable spectacle théâtral à grande échelle (comme chez Test Dept particulièrement), nécessitant une infrastructure lourde et la présence de figurants-musiciens.
2 octobre 2013 | cahier de citations
En fait de synthétiseurs, l’industriel apparaît à un moment où ces instruments n’en sont encore qu’à leur préhistoire, bien avant l’évolution foudroyante qu’on leur connaîtra à partir des années quatre-vingt, vertigineuse à partir des années quatre-vingt-dix. D’où des sonorités tout à fait caractéristiques de cette époque,, un grain particulier, qui aurait pu devenir désuet très vite mais que l’incompétence des musiciens, associée au désir d’extraire de leurs machines les sons les plus agressifs qui soient, projette en quelque sorte au-delà de leur temps. Près de trois décennies après l’avènement du genre (centré autour du début des années quatre-vingt), on constate aujourd’hui que l’industriel dans son ensemble, quoique relié à son époque, a nettement mieux vieilli que toute l’electro-pop produite au même moment (avec des gens comme Depeche Mode ou OMD). L’idée d’anti-musique quant à elle est un peu le corollaire de cette incompétence musicale revendiquée par beaucoup de groupes, et est d’abord prétexte à des improvisations d’autant plus libres et innovantes. Si le punk supposait d’être capable de plaquer trois accords approximatifs sur une guitare, la musique industrielle fera sauter cette dernière contrainte en évitant généralement (mais également par pure impossibilité de s’y conformer) toute analogie possible avec le format de la chanson rock, et donc avec la narration (la structure couplets-refrain), et le plus souvent avec la tonalité également. Car l’industriel sera d’abord affaire de bruit, et il conviendrait plutôt de parler d’imbrication de masses sonores que de phrases musicales organisées pour définir son esthétique. Bruits blancs, perçus comme désagréables à l’oreille, métalliques, stridents et crissants, focalisés sur les extrêmes du spectre sonore, distorsion et saturation forment la base de données propre au genre, déclinés sur le mode électrique, électronique ou percussif. L’autre élément important qui souligne cette démarche anti-musicale est la répétition, l’usage intensif de boucles rythmiques et/ou non-mélodiques qui forment bien souvent l’assise, le socle sur lequel viennent se poser (aussi bien s’écraser) les éléments bruitistes, cette caractéristique devenant même chez des gens comme Boyd Rice ou le Laibach première époque une sorte de gimmick, l’équivalent du riff propre au rock, du scratch propre au rap. La répétition, le cycle sans fin sont généralement perçus (même si le minimalisme américain a prouvé le contraire) comme contraires à la notion d’oeuvre musicale, qui suppose une progression, une évolution vers un point d’acmé, bref une organisation révélant une pensée structurée et cohérente, censée s’épanouir et se réaliser dans le produit musical créé. Mais parce que l’un des propos essentiels des groupes sera de décrire un état d’aliénation constant et généralisé, c’est très logiquement qu’ils rejetteront toute analogie avec une pensée musicale discursive. Dans la société telle que la perçoivent les acteurs du mouvement, la pensée elle-même est atteinte par le processus de contrôle, dirigée, formatée, réduite à l’état d’un circuit fermé sur lequel on peut agir à distance grâce à quelques stimulations artificielles créant de faux besoins, de faux problèmes, offrant l’illusion d’une liberté lorsque ceux-ci sont satisfaits ou résolus. Parce que l’industriel veut avant tout renvoyer une image fidèle de l’atroce réalité dans laquelle nous vivons, il ne pouvait que s’orienter vers une approche autistique du matériau sonore, le comportement de l’autiste incapable de s’échapper de sa prison mentale, répétant sans fin les mêmes mouvements, les mêmes cris, possédant plus d’un point commun avec l’état de confusion, d’aveuglement, de souffrance et de désespoir qui est le lot de chacun dans pareille société. grande cohérence donc, adéquation entre le fond et la forme, entre le contenant et le contenu, qui bouscule également les habitudes d’écoute courantes. L’industriel des groupes privilégiant une approche rythmique (Test Dept, Laibach à ses débuts, Einstürzende Neubauten) sera d’abord affaire de pulsation, de martèlement machinique, de coups réguliers assénés jusqu’à l’épuisement.
28 septembre 2013 | cahier de citations
dans le sens où la majorité des groupes industriels seront d’abord soucieux de parasiter le processus de contrôle que permettent les mass-médias, reprenant à leur compte les théories de William Burroughs sur la guerre de l’information, sorte de version moderne des guerres territoriales d’autrefois, permise par les avancées technologiques de l’époque, qui mèneraient (comme Burroughs l’avait également bien pressenti) à l’invention du cyberespace quelques années plus tard, qui rappelons-le a d’abord été créé à des fins militaires. D’où une tendance particulièrement marquée à puiser sans vergogne dans les discours (et les images) diffusés dans les médias populaires (radio, cinéma et télévision), à les sortir de leur contexte pour les réintégrer sous forme de samples, souvent mis en boucles, dans les oeuvres musicales, afin d’en révéler le caractère propagandiste, qu’il s’agisse de discours politiques, de prose journalistique, de publicités ou de documentaires de tous ordres. L’industriel sera une musique où l’on chante peu, nombre de formations étant d’expression essentiellement instrumentale, mais où l’on parle beaucoup, où ça parle beaucoup, saturée de messages de toutes provenances, choisis tant pour leur contenu que leur couleur à l’oreille. Leur accumulation, leur imbrication les uns dans les autres n’ont bien souvent pas d’autre fonction que de révéler leur équivalence fondamentale, destinée à maintenir le système de régulation sociale en place. Cette réappropriation de discours existants n’est bien sûr pas sans rappeler les méthodes de détournement exploitées par les situationnistes, à cette différence près qu’elles sont appliquées à des oeuvres musicales, et que la matière de base exploitée est le plus souvent d’une nature en soi sulfureuse (alors que chez les situationnistes elle était généralement inoffensive et/ou insignifiante).
Mais parallèlement à ces procédés récurrents, il faut également remarquer cette propension propre à certains groupes à développer leur propre organe d’informations, par voie d’imprimés périodiques ou plus ponctuels, proposant des articles traitant de sujets soigneusement passés sous silence dans les médias officiels, avec une prédilection pour tout ce qui à l’époque était considéré comme plus ou moins tabou, du nazisme aux théories conspirationnistes en passant par les pratiques sexuelles extrêmes, les méthodes modernes de torture, les expériences médicales sur les animaux ou sur les hommes, les armes à feu, les tueurs en série, les gourous de secte, le terrorisme, etc., l’ensemble révélant un goût prononcé pour le morbide, le glauque, la violence et la folie, personnelle et collective. Si de telles publications n’échapperont pas toujours à une certaine complaisance, elles témoignent cependant aujourd’hui encore d’une réelle et profonde révolte face à la réalité des rapports sociaux, perçus uniment comme des modes de conditionnement et de répression des individus, destinés à s’assurer son contrôle et son obéissance, et viseront d’abord à informer le public d’un état d’oppression d’autant plus intolérable qu’il est généralisé.