Demain,

la technologie ne cessera d’évoluer, en même temps que la tentation de fabriquer une image plutôt que de la capter. Disons que la fixité du pixel remet en cause l’un des fondements de l’opération cinématographique : l’analyse du mouvement découpe le visible en unités discrètes, les photogrammes, qui jamais ne sont complètement identiques l’un à l’autre. D’un photogramme au suivant, il se passe quelque chose : du temps. D’une image numérique à la suivante, il peut n’y avoir aucune différence, il peut ne se marquer aucune temporalité. C’est donc la perception des durées, du passage même du temps, qui change d’un mode à l’autre. Or, le cinéma est d’abord un art du temps.

Elles sont une façon de s’entourer des autres

et de leur laisser la parole. Elles sont la voix des autres. Je ne conçois pas de livres sans citation parce que je ne conçois pas de livres sans la basse continue de la conversation. Écrire est une façon de parler. Il est peut-être temps de poser une première hypothèse. Si je me suis soucié de poésie, plus de poésie que d’autre chose, plus de poésie que de roman par exemple, c’est que je crois qu’un poème contient pour ainsi dire par définition une adresse, c’est-à-dire la présence d’autrui, qu’il est toujours adressé, qu’il est toujours soit une façon de parler soit un endroit où se rendre et peut-être les deux.

LES PIERRES

CLAIRES traversent les airs, les
blancheclaires, porteuses
de lumière.

Elles ne veulent
pas toucher le bas, l’abîme,
leur but. Elles
montent,
comme les humbles
églantines, elles s’ouvrent,
elles planent,
vers toi, ma silencieuse,
ma vraie – :

Je te vois, tu les cueilles avec mes
mains nouvelles, mes
mains-de-tout-le-monde, tu les mets
dans l’encore-une-fois clarté, que personne
n’a besoin de pleurer ni nommer.

Derrière la prospérité

de la plupart des secteurs il y a un Enfer ; cette prospérité provoque une productivité répressive et de « faux besoins ». Elle est répressive précisément dans la mesure où elle satisfait des besoins qui imposent la continuation du « à-qui-mieux-mieux ». C’est la « bagarre » pour ne pas se faire dépasser par les collègues du bureau ou les « copains » dans un travail qui consiste à prévoir une usure rapide pour l’objet fabriqué et à accélérer sa dépréciation qui serait « normalement » trop lente pour la survie des bénéfices ; c’est la « bagarre » pour être dispensé de l’usage créatif des facultés intellectuelles, pour travailler dans une branche de la production où il n’est question que de destruction. Le confort évident qu’apporte cette sorte de productivité, le support qu’elle fournit à un système de domination profitable, explique qu’elle se soit transplantée dans des zones du monde moins avancées, où il reste que l’introduction d’un tel système est un progrès gigantesque en termes techniques et humains.

On pourrait nommer philosophie

autocratique des techniques celle qui prend l’ensemble technique comme un lieu où on utilise les machines pour obtenir de la puissance. La machine est seulement un moyen ; la fin est la conquête de la nature, la domestication des forces naturelles au moyen d’un premier asservissement : la machine est un esclave qui sert à faire d’autres esclaves. Une pareille inspiration dominatrice et esclavagiste peut se rencontrer avec une requête de liberté pour l’homme. Mais il est difficile de se libérer en transférant l’esclavage sur d’autres êtres, hommes, animaux ou machines ; régner sur un peuple de machines asservissant le monde entier, c’est encore régner, et tout règne suppose l’acceptation des schèmes d’asservissement.