18 novembre 2011 | cahier de citations
Un dernier poème d’amour.
Nous n’avons pu abréger la vie du chemin mais
nos âges
nous pourchassent pour que nous incitions nos pas
vers le commencement de l’amour.
Amour, nous étions les renards de cette haie
et la camomille de la plaine.
Nous voyions ce que nous ressentions
et sur la cloche du temps,
nous cassions nos noisettes.
Nous recelions un chemin solitaire vers la place
lunaire et la nuit ne recèle de nuit que les fruits
du mûrier. Nous possédons une seule lune dans
les mots,
nous étions les conteurs
avant que les envahisseurs n’atteignent
notre lendemain…
Ah que ne sommes-nous arbres
dans les chansons
pour devenir la porte d’une masure,
le toit d’une maison,
la table pour le dîner de deux amants ou une
chaise ?
Amour, retiens-nous un peu
que nous tissions la robe du beau mirage.
31 octobre 2011 | cahier de citations
Leda s’était un jour rendu au commissariat pour changer son patronyme pour celui de sa mère. A la sortie, c’était un nouvel homme. Il avait peut-être raté son destin de dragon, mais c’était déjà un phénix qui renaissait de ses cendres. Après avoir divorcé de Han Saite, il avait rompu avec le mari. A son tour, avec du retard, il avait soldé son souvenir et liquidé son histoire. Il avait mis du temps à comprendre qu’il était la dernière preuve de vie d’un personnage en faillite, obsolète et encombrant. Pour les autres, Guo Leda n’existait plus, et n’avait jamais existé. Seuls Han Saite et les polos des travailleurs migrants disaient le contraire. Mais la première avait déjà perdu sa crédibilité, et les seconds ne tarderaient pas à tomber en lambeaux.
Le Camarade Ye avait aussi songé à changer son prénom. Mais Zhen Zhen l’en avait dissuadé. Elle était incapable de l’appeler autrement. Après tout, du temps de sa gloire, tant de gens s’étaient débaptisés pour prendre le même ; d’autres l’avaient donné à leur nouveau-né s’ils n’avaient pas de chien. Partout dans le pays couraient par milliers des Zhang Leda, Wang Leda, Li Leda… et pourquoi pas Ye Leda ? C’était en fin de compte la meilleure façon de devenir anonyme.
15 octobre 2011 | cahier de citations
Céder à la peste émotionnelle, à la vengeance, au défoulement, c’est participer au chaos et à la violence aveugle dont l’Etat et ses instances répressives ont besoin pour continuer d’exister. Je ne sous-estime pas le soulagement rageur auquel cède une foule qui incendie une banque ou pille un supermarché.. Mais nous savons que la transgression est un hommage à l’interdit, elle offre un exutoire à l’oppression, elle ne la traduit pas, elle la restaure. L’oppression a besoin de révoltes aveugles.
En revanche, je ne vois pas de moyen plus efficace pour oeuvrer à la destruction du système marchand que de propager la notion et les pratiques de la gratuité (çà et là s’esquisse timidement le sabotage des parcmètres de stationnement, au grand déplaisir des entreprises qui prétendent nous voler notre espace et notre temps).
Aurions-nous si peu d’imagination et de créativité que nous ne puissions éradiquer les contraintes liées au racket des lobbies étatiques et privés ? De quel recours disposeront-ils à l’encontre d’un mouvement collectif qui décréterait la gratuité des transports en commun, qui refuserait de payer taxes et impôts à l’Etat-escroc pour les investir, au bénéfice de tous, en dotant une région d’énergies renouvelables, en rétablissant la qualité des soins de santé, de l’enseignement, de l’alimentation, de l’environnement ? N’est-ce pas en restaurant une véritable politique de proximité que nous jetterons les bases d’une société autogérée ? Au lieu de ces grèves de trains, de bus, de métros qui entravent le déplacement des citoyens, pourquoi ne pas les faire rouler gratuitement ? N’y a-t-il pas là un quadruple avantage : nuire à la rentabilité des entreprises de transport, réduire les profits des lobbies pétroliers, briser le contrôle bureaucratique des syndicats et, surtout, susciter l’adhésion et le soutien massif des usagers ?
4 octobre 2011 | cahier de citations
observer, comparer et distinguer les choses. Pour ces opérations, s’offrent à lui non seulement le présent immédiat et la possibilité d’utiliser ses propres expériences, mais sont aussi à sa disposition les expériences des époques antérieures et les observations d’hommes sagaces et subtils, qui, du moins très souvent, ont vu juste. Grâce à ces expériences et observations, il est entendu depuis longtemps qu’il existe des lois naturelles selon lesquelles l’homme – quelles que soient la société dans laquelle il vit et la constitution qui régit cette société – doit vivre et agir pour être heureux au sein de son espèce. Grâce à elles, tout ce qui est utile ou nuisible pour l’ensemble de l’espèce à toutes les époques et dans toutes les circonstances est irréfutablement établi ; les règles dont l’application nous met à l’abri des erreurs et des sophismes sont connues ; nous pouvons savoir avec une rassurante certitude ce qui est beau ou laid, juste ou injuste, bon ou mauvais, pourquoi il en est ainsi et jusqu’à quel point il en est ainsi ; on ne peut concevoir aucune espèce de sottise, de vice et de malice dont l’ineptie ou le caractère néfaste n’aient été démontrés depuis longtemps aussi rigoureusement qu’un théorème d’Euclide : Et pourtant ! Nonobstant cela, les hommes tournent depuis des milliers d’années dans le même cercle de sottises, d’erreurs et d’abus, ni leurs propres expériences ni celles des autres ne les ont rendus plus sensés ; et dans le meilleur des cas un individu peut devenir plus spirituel, plus sagace, plus savant, mais jamais plus sage.
« C’est que les hommes pérorent d’ordinaire sans tenir compte des lois de la raison. Au contraire : communément et congénitalement ils raisonnent de la façon suivante : conclure du particulier au général, déduire des faits perçus de façon fugace ou partielle des conclusions erronées, et confondre à tout instant les mots avec les concepts et les concepts avec les choses. Dans les occurrences les plus importantes de la vie, la plupart d’entre eux – 999 sur 1000, selon l’estimation la plus équitable – font reposer leur jugement sur les premières impressions de leurs sens, leurs préjugés, passions, lubies, caprices, humeurs, combinaisons fortuites de mots et de représentations dans leur cerveau, apparentes ressemblances et suggestions secrètes de l’amour-propre, qui font qu’ils prennent à chaque instant leur bidet pour un cheval, et le cheval d’autrui pour un bidet. Parmi lesdits 999, il y en a au moins 900 qui pour ce faire n’utilisent même pas leurs propres organes, préférant au contraire, par une fainéantise incompréhensible, voir faussement avec les yeux d’autrui, au lieu d’accomplir cela au moins de leur propre chef. Sans même parler de la part considérable de ces 900 qui a pris l’habitude de discourir de mille choses importantes en se donnant de grands airs, sans savoir le moins du monde ce qu’ils disent ni se préoccuper un seul instant si ce qu’ils disent tient debout ou non. »
« Une machine, un simple outil, qui est forcé de se laisser utiliser ou maltraiter par des mains étrangères ; une botte de paille qui à la moindre étincelle est exposée à tout moment à prendre feu ; une plume qui se trouve ballottée dans les airs par le moindre souffle – n’ont jamais passé depuis que le monde existe pour des images symbolisant l’activité d’un être raisonnable : en revanche on s’en est servi depuis toujours pour exprimer la façon dont les hommes, particulièrement lorsqu’ils sont agglutinés en grandes masses, ont coutume de se déplacer et d’agir. On sait déjà que l’envie et le dégoût, la crainte et l’espérance – mus par la sensualité et la présomption – sont les roues motrices de tout acte quotidien qui ne relève pas de la seule routine des instincts ; mais il y a pire : dans les cas les plus sensibles – précisément quant il y va du bonheur ou du malheur de la vie entière, du bien-être ou de la misère de peuples entiers : et le plus souvent de l’intérêt supérieur de l’ensemble du genre humain – ce sont des passions ou préjugés étrangers, c’est la pression ou la poussée d’un petit nombre de mains, la langue bien affilée d’un seul bavard, l’ardeur féroce d’un seul exalté, le zèle simulé d’un seul faux prophète, l’appel d’un seul téméraire ayant pris les devants – qui met en branle des milliers et centaines de milliers, un mouvement dont ils ne voient ni s’il est justifié ni quelles en seront les conséquences : de quel droit une espèce composée de créatures aussi déraisonnables peut-elle… » (d’abord reprendre haleine).
Donc : « Les faiseurs de grimaces, les charlatans, les saltimbanques, les joueurs de passe-passe, les entremetteurs, les écorcheurs et les spadassins se disséminèrent de par le monde ; – les moutons tendirent leurs sottes têtes et se laissèrent tondre ; – alors les sots dansèrent des cabrioles et firent des culbutes. Et les sages, lorsqu’ils le pouvaient, s’en allèrent et se firent ermites : l’histoire du monde in nuce, ad usum Delphini. »
3 octobre 2011 | cahier de citations
(suis curieux de voir si les films sont encore bons ; n’en ai jamais développé non plus ; mais ça procure des émotions et fait passer le temps). Je me suis donc mis à photographier : des taches solaires ; une clairière grande comme un placard ; des barbelés rouillés (à la gare, où il y a toute la ferraille) ; des ruines de champignons rongés par les larves ; une branche dans la forêt, ô forme éternellement évanescente ; une fois en plein dans la nuée allemande derrière un petit sapin aux doigts en éventail. Moi aussi naturellement (avec déclencheur automatique) : sur les marches devant la maison, pensivement plongé dans un in-folio (mais – comme toujours – j’y faisais une grimace si idiote que j’eus un haut-le-coeur à la seule vue du négatif).