1 juillet 2011 | cahier de citations
Le cri d’insubordination s’entend ici comme un ténu murmure de mécontentement, comme un bruit sourd de non-subordination. La non-subordination, c’est la lutte, simple et non spectaculaire, pour pouvoir dessiner sa vie, sa propre vie. C’est l’opposition de chacun à renoncer aux menus plaisirs de la vie, c’est la résistance à se transformer en machines, c’est la détermination à forger et à maintenir un certain pouvoir-de. Ce type de non-subordination n’est pas nécessairement une opposition ouverte et consciente, mais il constitue un obstacle puissant à l’expansion vorace du capital et à l’intensification de sa puissance.
La tendance à subordonner avec une intensité croissante toutes les sphères de la vie est l’essence même du néolibéralisme, qui est une tentative de résoudre la crise par l’accentuation et la réorganisation de la subordination. La séparation du sujet et de l’objet (la déshumanisation du sujet) est poussée vers de nouvelles limites par le recours massif à l’argent-roi commandant toute chose. Si, au XVIIIe siècle, le capital a établi sa domination grâce au mouvement des enclosures (c’est-à-dire la séparation des individus de la terre), aujourd’hui le capital essaie de surmonter sa crise par un nouveau « mouvement des enclosures », saisissant toujours plus d’espaces de l’activité sociale, imposant la domination de l’argent où la subordination était auparavant indirecte. La marchandisation des terres, la marchandisation croissante des soins et de l’éducation, l’extension de la propriété (qui inclut à la fois les logiciels et le génome humain), la réduction de la protection sociale dans les pays où elle existait, l’intensification du travail, doivent être considérés comme des moyens d’extension et de potentialisation de la subordination.
13 février 2011 | cahier de citations
Les filles au crépuscule descendent dans l’eau
quand, étale, la mer disparaît. Dans le bois
chaque feuille tressaille tandis qu’elles émergent
prudentes sur le sable et s’assoient sur la rive.
L’écume joue inquiète le long de l’eau lointaine.
Les filles ont peur des algues enfouies sous les vagues,
qui s’agrippent aux épaules et aux jambes:
ce qui est nu de leur corps. Lestement elles regagnent
la rive et s’appellent par leur nom, épiant autour d’elles.
Les ombres aussi, sur le fond de la mer, dans le noir,
sont énormes, on les voit qui remuent indécises
et semblent attirées par les corps qui passent. Le bois
est un havre tranquille, dans le soleil couchant,
plus que le bord de l’eau, mais ces filles hâlées aiment bien
être assises sous le ciel, leur drap de bain ramené sur le corps.
Elles sont accroupies, serrant contre les jambes
leur drap et contemplent la mer qui s’étale
comme un pré au couchant. Et si l’une d’elles osait
s’étendre dans un pré maintenant toute nue ? Les algues
qui effleurent les pieds bondiraient de la mer
pour s’emparer de son corps frissonnant et pour l’envelopper.
Il y a dans la mer des yeux qui affleurent parfois.
L’étrangère inconnue qui la nuit nageait seule,
toute nue dans le noir, au changement de lune,
a disparu une nuit et ne reviendra plus.
Elle était grande et sans doute d’une blancheur éclatante
pour que du fond de l’eau les yeux aient pu l’atteindre.
16 janvier 2011 | cahier de citations
Le capitalisme a métamorphosé le petit esclave des usines en un prince d’opérette publicitaire.
Volens nolens, la société de consommation a propagé et vulgarisé les thèses de Groddeck, de Freud, de Freinet, de Dolto, démontrant la richesse de cette vitalité exubérante, que le mépris de la nature assimilait à de la sauvagerie. La cupidité marchande qui, jusqu’alors, la transformait en une force de travail, d’une efficacité médiocre, l’a réhabilitée avantageusement. Elle a mis en branle la filière des faux besoins et des désirs factices pour faire jouer dès le plus jeune âge les ressorts de l’avidité incontinente.
21 novembre 2010 | cahier de citations
la vie se perd où s’accroît le confort de la survie. Là réside le point de corruption qui menace à plus ou moins longue échéance l’existence humaine. Car, sans la vie, la survie n’est que l’attente de la mort.