14 août 2010 | cahier de citations
et sur lequel ce dernier leva aussitôt ses calmes yeux bleus, ne présentait aucune caractéristique physique, ni la moindre indication physique d’une caractéristique morale, par lesquelles il eût pu passer pour remarquable au milieu d’un groupe de personnes. Il était de taille moyenne, légèrement chauve avec un front haut, il portait une moustache et une barbe mal taillées et d’un châtain grisonnant, comme ses cheveux. Il était vêtu de gris – un costume et un pardessus en état avancé d’usure. Son aspect général donnait l’impression d’une banalité intelligente : son aspect vestimentaire, celui d’un célibataire ni soigneux ni négligé ; il avait un air simple sans être vraiment humble, et son expression était directe sans être impudente. Il avança respectueusement, d’une façon ni élégante, ni grossière, vers le bureau du juge, puis, arrivé tout près, il le salua d’une inclinaison de la tête involontairement sèche.
– Vous vouliez me parler ? demanda le juge. Je suis en ce moment un peu occupé, mais j’ai tout de même tenu à vous recevoir. C’est à quel propos ?
– A propos de la mort d’un homme appelé Carlos Vargas, répondit le nouveau venu.
– Vous êtes monsieur Quaresma, Abilio Quaresma, si je ne m’abuse ? Il me semble que c’est ce que l’huissier m’a dit…
18 juillet 2010 | cahier de citations
Dans nos promenades les plus ordinaires nous ne cessons, tout inconsciemment que ce soit, de gouverner comme des pilotes d’après certains fanaux et promontoires bien connus, et dépassons-nous notre course habituelle, que nous emportons encore dans le souvenir l’aspect de quelque cap voisin; ce n’est que lorsque nous sommes complètement perdus, ou qu’on nous a fait tourner sur nous-mêmes – car il suffit en ce monde qu’on vous fasse tourner une fois sur vous-même les yeux fermés pour que vous soyez perdu – que nous apprécions l’étendue et l’inconnu de la Nature. Il faut à tout homme réapprendre ses points cardinaux aussi souvent qu’il sort soit du sommeil, soit d’une préoccupation quelconque. Ce n’est que lorsque nous sommes perdus – en d’autres termes, ce n’est que lorsque nous avons perdu le monde – que nous commençons à nous retrouver, et nous rendons compte du point où nous sommes, ainsi que de l’étendue infinie de nos rapports.
9 juin 2010 | cahier de citations
Les anniversaires comptent un nombre d’années incroyablement élevé et les ennuis corporels l’empêchent de vivre plus longtemps au jour le jour comme ses chers animaux ou comme son courageux voisin. Il devrait s’être familiarisé avec la mort – non pas celle des autres, comme le médecin chef conseiller Behrens, ce vieil employé de la mort du sanatorium Berghof, mais avec la sienne propre. Il vécut pendant des années dans des conditions qu’il n’y a pas lieu de décrire ici, mais le fait est qu’il dut attendre la mort de jour en jour et d’heure en heure. Il vit s’en aller ses semblables de toutes les façons possibles et imaginables. Ses camarades, on ne peut pas le dire autrement crevaient sous les coups qu’on leur administrait, mais aussi dans les convulsions, sous l’effet du cyclohexane B. Il enjamba distraitement des amas de cadavres, marcha dans des couloirs souterrains, où des hommes étaient suspendus à d’énormes crochets en fer. Que s’est-il passé en moi, jadis, se demande A, et se donne une réponse dont il sait que d’autre s’en méfieront : je n’avais pas peur. Non, ce n’était pas du courage, car nombre de choses me précipitèrent dans la terreur. J’étais jeune. Et la mort qui me menaçait venait de l’extérieur : il n’est pas de plus belle mort au monde que d’être terrassé par l’ennemi. Elle venait de l’extérieur, même quand ce n’était pas une mort par un coup de matraque ou au gaz. La dysentrie et le phlegmon étaient des attaques provoquées par un monde hostile et en cela effrayantes mais ne suscitant pas la crainte comme de mourir lentement de l’intérieur, dans le déclin qui me tient compagnie comme un ami intime, et que je fréquente maintenant que j’ai vieilli et que des diagnostics de médecin pas très brillants et quelques chiffres me font comprendre que la déclivité a commencé. Mourir assassiné, ce qui dans mon cas jadis, aurait pu être compris comme un meurtre de l’intérieur, est une attaque du monde contre ma personne. Un tube d’acier s’abat sur moi, un coup est tiré, une fièvre soudaine m’abat. Je suis – j’étais, je m’en souviens exactement – dans l’état d’esprit d’un homme qui perd confiance dans le monde parce que lui manque dans sa misère l’espoir qu’on lui vienne en aide. Mourir était terreur.
27 mai 2010 | cahier de citations
il est la permanence de la pulsion de vie, de la force, de l’énergie, du mouvement, de la dynamique, quand le révolutionnaire, créateur de nouvelles idoles pour de nouvelles religions, s’appuie sur la pulsion de mort, la violence militaire et policière, la brutalité institutionnelle, la société close. La révolte de l’unique n’exclut pas la somme des révoltes. Stirner le solipsiste dépasse son solipsisme en écrivant : « S’il y a derrière toi quelques millions d’autres pour Te protéger, Vous avez une force imposante et remporterez facilement la victoire. »
29 avril 2010 | cahier de citations