2 janvier 2010 | cahier de citations
avec lequel la « communication » se fera essentiellement sur un mode phatique, c’est-à-dire sans contenu sémantique, sur le simple modèle du contact sans médiation. Des connexions plutôt que des relations, et qui présupposent toujours l’homogénéité des termes. Le système requiert avant tout la mobilisation de tous, le reste (les relations singulières) est sans importance. Aussi est-il parfaitement impossible de séparer sérieusement les deux pôles que sont la surveillance globale et la communication globale. Dans les deux cas il s’agit d’assurer une communication horizontale du pouvoir et de la norme, et de produire une société immédiate, immédiatement harmonieuse, indépendamment de la médiation politique et de la représentation. C’est en les séparant qu’on entretient l’idée que le contrôle n’est qu’une « dérive » d’un système en lui-même vertueux, producteur de libertés et de communication. Là encore, les travaux de Foucault ont montré comment la libéralisation politique n’avait été possible qu’à partir des techniques nouvelles de contrôle social. Le libéralisme n’est pas l’accomplissement de la destination morale de l’homme, mais un certain régime de pouvoir, au sein duquel des libertés sont produites dans la mesure même où elles s’avèrent contrôlables et prévisibles.
28 décembre 2009 | cahier de citations
qui tient pour une vertu de répartir équitablement son inhumanité à tous les degrés de sa hiérarchie. C’est pourquoi les malfaisants ont besoin de défenseurs, à plus d’un titre.
Il faut empêcher la foule de laver sa culpabilité dans le sang du bouc émissaire ; briser le cercle qui enchaîne au forfait le châtiment de la mort ou de la prison ; en finir, surtout, avec une justice qui, équilibrant sur les plateaux de la balance la malédiction ontologique de l’assassin et les infortunes de l’assassiné, dissimule sous le fatras des justifications psychologiques l’usage incantatoire de payer et de faire payer.
Tout procès intenté à la barbarie se devrait de mettre au banc des accusés le despotisme économique qui étouffe la vie et l’abandonne aux soubresauts hargneux du ressentiment. Il n’y a d’autre verdict que l’instauration d’une société plus humaine. L’innocence est le fruit du bonheur.
1 décembre 2009 | cahier de citations
L’errance a cessé d’être retour à l’origine, elle n’est même plus ab-errance qui supposerait encore un point fixe, elle est aussi loin de l’erreur que de la vérité. Elle a conquis l’autonomie dans une sorte d’immobilité, catatonie.
11 novembre 2009 | cahier de citations
Il fallait y aller doux avec elle, avec délicatesse, tact, doigté. Elle le cernait de tous les côtés. Mais tout de même il y avait encore un moyen de l’atteindre lui, ce n’était pas grand, cette ouverture par où communiquer avec lui mais la vie était quand même en lui, à peine une écharde, mais une écharde quand même. La mort montait à l’assaut. 39,5 le premier jour. Puis 40. Puis 41. La mort s’essoufflait. 41 : le c?ur vibrait comme une corde de violon. 41, toujours, mais il vibre. Le coeur, pensions-nous, le coeur va s’arrêter. Toujours 41. La mort, à coups de boutoir, frappe, mais le c?ur est sourd. Ce n’est pas possible, le coeur va s’arrêter. Non.
De la bouillie, avait dit le docteur, par cuillers à café. Six ou sept fois par jour on lui donnait de la bouillie. Une cuiller à café de bouillie l’étouffait, il s’accrochait à nos mains, il cherchait l’air et retombait sur son lit. Mais il avalait. De même six à sept fois par jour il demandait à faire. On le soulevait en le prenant par-dessous les genoux et sous les bras. Il devait peser entre trente-sept et trente-huit kilos : l’os, la peau, le foie, les intestins, la cervelle, le poumon, tout compris : trente-huit kilos répartis sur un corps d’un mètre soixante-dix-huit. On le posait sur le seau hygiénique sur le bord duquel on disposait un petit coussin : là où les articulations jouaient à nu sous la peau, la peau était à vif. […] Une fois assis sur son seau, il faisait d’un seul coup, dans un glou-glou énorme, inattendu, démesuré. Ce que se retenait de faire le c?ur, l’anus ne pouvait pas le retenir, il lâchait son contenu. Tout, ou presque, lâchait son contenu, même les doigts qui ne retenaient plus les ongles, qui les lâchaient à leur tour. Le coeur, lui, continuait à retenir son contenu. Le coeur. Et la tête. Hagarde, mais sublime, seule, elle sortait de ce charnier, elle émergeait, se souvenait, racontait, reconnaissait, réclamait. Parlait. Parlait. La tête tenait au corps par le cou comme d’habitude les têtes tiennent, mais ce cou était tellement réduit ? on en faisait le tour d’une seule main ? tellement desséché qu’on se demandait comment la vie y passait, une cuiller à café de bouillie y passait à grand-peine et le bouchait. Au commencement le cou faisait un angle droit avec l’épaule. En haut, le cou pénétrait à l’intérieur du squelette, il collait en haut des mâchoires, s’enroulait autour des ligaments comme un lierre. Au travers on voyait se dessiner les vertèbres, les carotides, les nerfs, le pharynx et passer le sang : la peau était devenue du papier à cigarettes. Il faisait donc cette chose gluante vert sombre qui bouillonnait, merde que personne n’avait encore vue. Lorsqu’il l’avait faite on le recouchait, il était anéanti, les yeux mi-clos, longtemps.
Pendant dix-sept jours, l’aspect de cette merde resta le même. Elle était inhumaine. Elle le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés, les traces de coups des S.S. On lui donnait de la bouillie jaune d’or, bouillie pour nourrisson et elle ressortait de lui vert sombre comme de la vase de marécage. Le seau hygiénique fermé on entendait les bulles lorsqu’elles crevaient à la surface. Elle aurait pu rappeler ? glaireuse et gluante ? un gros crachat. Dès qu’elle sortait, la chambre s’emplissait d’une odeur qui n’était pas celle de la putréfaction, du cadavre ? y avait-il d’ailleurs encore dans son corps matière à cadavre ? mais plutôt celle d’un humus végétal, l’odeur des feuilles mortes, celle des sous-bois trop épais. C’était là en effet une odeur sombre, épaisse comme le reflet de cette nuit épaisse de laquelle il émergeait et que nous ne connaîtrions jamais. (Je m’appuyais aux persiennes, la rue sous mes yeux passait, et comme ils ne savaient pas ce qui arrivait dans la chambre, j’avais envie de leur dire que dans cette chambre au-dessus d’eux, un homme était revenu des camps allemands, vivant.)
8 novembre 2009 | cahier de citations
aux dévots de l’avant-garde abîmés dans leurs génuflexions, que Duchamp a cent ans ! Et qu’il faudrait être obtus pour imaginer qu’une pensée nécessaire et immense en son temps resterait immense et nécessaire dans les formes mêmes qui furent jadis les siennes ici et maintenant. Dans une perspective dialectique, il sait qu’il faut jouer Duchamp contre les duchampiens pour vivre après l’icône. Autrement dit, il s’agit de proposer de nouveaux attentats artistiques, d’amorcer et de poser de nouvelles bombes esthétiques, de dynamiter le petit monde de l’art contemporain tout à ses certitudes, confit dans ses dévotions, obéissant à ses prêtres, soumis à ses cardinaux, tremblant devant ses Grands Inquisiteurs.