Accoudé à la rampe du chemin aérien qui encerclait de ses piliers métalliques la place Tahrir, il ruminait des idées hardiment contraires aux discours propagés par des penseurs accrédités, lesquels certifiaient que la pérennité d’un pays était subordonnée à l’ordre. Le spectacle qu’il avait sous les yeux condamnait sans rémission cette affirmation imbécile. Depuis un certain temps, cette construction imaginée par des ingénieurs humanistes pour soustraire les malheureux piétons aux périls de la rue lui servait d’observatoire panoramique pour conforter son intime conviction que le monde pouvait continuer indéfiniment à vivre dans le désordre et l’anarchie. En effet, malgré la mêlée inextricable qui régnait sur la vaste place, rien ne semblait altérer l’humour de la population et sa vigoureuse aptitude aux sarcasmes. Ossama était persuadé qu’il n’y avait rien de plus chaotique que les guerres ; pourtant elles duraient des années entières et il arrivait que des généraux notoirement ignares gagnassent des batailles, le choc étant par essence grand producteur de miracles ! Il était ravi de vivre au milieu d’une race d’hommes dont aucun destin inique n’avait le pouvoir de ternir la faconde et la gaîté. Au lieu de fulminer contre les tracas imposés par la monstrueuse déchéance de leur ville, ils comportaient de façon affable et civilisée, comme s’ils n’attachaient aucune importance à des incommodités matérielles qui ne pouvaient susciter l’affliction que chez des âmes mesquines. Cette attitude digne et fière émerveillait Ossama, car elle dénotait la totale incapacité de ses compatriotes à concevoir la tragédie.