Ils ne sont plus l’affaire d’autrui : nos sentiments ne sont pas ceux de quelqu’un qui serait passé par là par hasard. On a l’impression que le même destin qui a abattu ces corps, nous cloue là, nous-mêmes, à les regarder, à nous en remplir les yeux. Ce n’est pas la peur, ce n’est pas la lâcheté coutumière. On se sent humiliés parce qu’on réalise – on touche avec les yeux – que nous pourrions nous trouver à la place du mort : il n’y aurait pas la moindre différence, et si nous sommes en vie, nous le devons à ce cadavre ensanglanté. C’est pourquoi chaque guerre est une guerre civile : tous ceux qui tombent ressemblent à ceux qui survivent, et leur en demandent raison.