à genoux, on se penche vers le plateau et on prend du riz avec la bouche. Des grains se collent sur le nez et le menton. Cependant après quelques échecs, on acquiert une meilleure technique qui consiste à faire monter le riz avec la langue le long de la paroi du bol et à saisir avec les lèvres. Ensuite, on attaque la partie qui est restée à l’opposé. Quant à la soupe, on saisit le bol avec les dents, on lève légèrement la tête en gardant un oeil sur le niveau du liquide et on le fait couler dans la bouche. Le fricot, on le soulève avec la langue et on le saisit avec les incisives. On finit le tout, non sans se salir le menton et le devant de la chemise. On s’essuie la bouche sur l’épaule. La porte s’ouvre à nouveau, le surveillant constate que les bols sont vides et que le prisonnier est maté. Mais s’il poursuit sa grève de la faim, on va le faire manger de force. Un médecin du service médical flanqué d’un infirmier pénètre dans la cellule escorté par quelques gardiens. Ils insèrent dans la bouche du prisonnier un tube reliè à un récipient en caoutchouc qu’ils malaxent pour faire avancer la bouillie qui est à l’intérieur. Ona l’impression d’étouffer comme lorsqu’on a dans la gorge un tube pour une endoscopie de l’estomac et le liquide remonte par le nez. Mais ce n’est rien à côté de l’humiliation et de la honte qu’éprouve jusqu’au larmes le prisonnier à se sentir ainsi violé. Dès que la porte se referme, il vomit et vomit encore, sans pour autant réussir à oublier le doux contact des grains de riz, le goût agréable qui persiste au bout de sa langue. Une barrière s’est affaissée à l’intérieur du corps.