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En l’absence de perturbations atmosphériques,
assez fréquentes, le signal parvenait correctement, donnant lieu à des instants magiques. Mais souvent, à peine réussissais-je à trouver le Luxembourg qu’un cauchemar envahissait ma chambre : aprsè un “Achtung, Achtung”, une voix de femme, creuse et monotone, se mettait à réciter des séries de chiffres : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0 – “Eins, Zwei, Drei”, etc. Cette litanie était suivie d’un morceau de musique populaire autrichienne iodlée, puis elle recommençait. J’avais vite deviné de quoi il s’agissait, et cette découverte me faisait frèmir : la guerre froide battait son plein, les chiffres étaient des informations secrètes et codées, destinées aux espions.
On les entendait partout sur les fréquences courtes et moyennes : des émetteurs allemands, russes et anglais ; il y avait là une voix lointaine de femme qui répétait “Papa November, Papa November” durant cinq minutes, au son fébrile de flûte de charmeur de serpents en arrière-fond, puis se mettait à lire en allemand des séries de chiffres : 406, 422, 348, 448, 462… D’autres stations portaient des noms tels que Papa Zulu, Charlie November, Sierra Tango, Foxtrot Bravo. Certaines avaient leur propre air de reconnaissance, par exemple cet émetteur britannique qui commençait toujours par les premières mesures d’une chanson populaire, puis une voix de femme lisait des chiffres avec un accent anglais à couper au couteau ; il y avait une station espagnole dont l’acoustique était si rudimentaire que de temps à autre, on entendait un coq crier. La plus effrayante d’entre elles commençait par quelques notes sortant d’une boîte à musique, suivies des chiffres prononcées par une voix de jeune fille allemande, douce et innocente.