Il venait de se rappeler
qu’il avait beaucoup parlé, que pendant longtemps il ne s’était pas gêné de dire ce qu’il pensait, qu’encore aujourd’hui il lui arrivait de ne pouvoir se retenir. Jusqu’à présent, cette loquacité n’avait pas pu tirer à conséquence, mais voilà tout à coup, au moment d’agir, il lui apparaissait que le monde entier connaissait ses projets. Il pensa alors, pour se redonner du courage, qu’au fond les gens ne nous jugent pas d’après ce que nous avons dit – eux-mêmes ont dit tant de choses – mais d’après ce que nous disons dans le moment présent.
.
Dans un dernier élan,
je veux me plonger dans mon roman monstrueux et bourré de défauts, que je tente désespérément et sans succès d’améliorer un peu. Un atroce pavé probablement sans remède que je cherche à rendre encore plus monstrueux et horrible. Comment trouves-tu mon dernier poème ? Je me sens capable d’en écrire cinq ou sept ou huit par jour. Ce que j’aimerais, au fond, c’est être une force de la nature comme Quevedo et être capable d’écrire dix livres par an. J’ai tant à dire ! Et plus j’en dis, plus le vase déborde de mots, de phrases, d’images, de vies et d’abîmes. C’est un puits toujours plein, une sorte de geyser. Je ne devrais rien faire d’autre, je voudrais ne rien faire d’autre.
Tout cela est triste et obsolète.
Te souviendras-tu encore de moi ? Parfois même moi, je ne me souviens plus de moi. Je me regarde dans la glace et c’est un étranger que je vois. Pourtant extérieurement je suis toujours le même, je crois. C’est intérieurement que j’ai changé. Mon propre silence me surprend, tout comme ma voix. Je parle peu, et tout ce que je dis, je le prononce sur un ton sec et mélancolique, qui n’était pas le mien. J’ai toujours une ride sur le front et un pli amer au coin de la bouche.
J’ai interrompu
ma lettre parce qu’une pluie d’obus vient de s’abattre sur la plaine. Je reprends.
Ce qui me pèse
le plus dans l’obscénité, c’est son triste défaut d’imagination.