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Le soir Gerald venait souvent avec moi dans la chambre noire
où je faisais alors mes premiers pas dans la photographie. La pièce, sorte de cagibi situé derrière le laboratoire de chimie, n’avait pas servi depuis des années mais ses placards et ses tiroirs renfermaient encore plusieurs étuis contenant des rouleaux de pellicule, une grosse réserve de papier photo et une collection hétéroclite d’appareils, parmi lesquels un Engin comme j’en possédai un plus tard. Essentiellement, ce qui m’a intéressé au début, c’est la forme et l’accomplissement des choses, la ligne élancée d’une rampe d’escalier, la cannelure de l’ogive sur un portail de pierre, l’enchevêtrement incroyablement précis des brins d’herbe sur une touffe desséchée. J’ai tiré des centaines de clichés de cette sorte à Stower Grange, la plupart du temps en format carré, et en revanche il m’a toujours paru inconvenant de braquer le viseur de mon appareil sur une personne. Ce qui m’a constamment fasciné dans le travail photographique, c’est l’instant où l’on voit apparaître sur le papier exposé, sorties du néant pour ainsi dire, les ombres de la réalité, exactement comme les souvenirs, dit Austerlitz, qui surgissent aussi en nous au milieu de la nuit et, dès qu’on veut les retenir, s’assombrissent soudain et nous échappent, à l’instar d’une épreuve laissée trop longtemps dans le bain de développement.
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Nous sommes peut-être chacun prisonnier
de notre propre parole (lexique, grammaire) – incapables de nous projeter dans le contexte d’autrui, et donc pas exactement sûr qu’autrui existe, ou qu’il existe dans le même monde que nous, ou qu’il existe un monde commun pour notre existence commune.
Si la poésie doit construire un monde commun,
comme il est possible après tout que ce soit son grand projet, elle n’a pas d’autre objectif alors que de trouver (au sens de trobar, au sens d’inventer) le rythme allègre d’une parole qui soit suffisamment anodine pour bâtir un espace où, nous tous, nous puissions nous tenir et nous retenir, familièrement.