#85
En marchant, parfois, je ramasse, me remplis de tout ce qui passe.
Il n’y a alors plus de soucis, de désirs ou de préoccupations quotidiennes, il n’y a plus que ce que je vois, entends, les silhouettes, le flux, chaque détail et je n’ai plus de poids, les mots sortent de là, il faudrait avoir un stylo qui écrit au rythme de la marche, sans avoir besoin de s’arrêter, ça risquerait de le figer, le flux, de le tarir, il faudrait que les pensées directement s’écrivent, on ferait le tri plus tard, et puis parfois, je suis pleine, lourde, soûlée d’ennui ou de fatigue, devant mes yeux tout est égal, rien ne dépasse, plus de fourmillement, d’excitation ou de curiosité, c’est mat comme du ciment, ça colmate, il faut s’alléger du trop plein, redevenir légère, refaire de la place.
“Le cliché montre une trentaine de personnes gisant à terre, dans des mares de sang”, dixit Metronews.
Chacun jugera. Cette image, vous pouvez tous la voir, elle est sur internet. Nous avons tous désormais le choix de la voir ou non : ce pouvoir est un nouvel engagement, une force citoyenne. Nous avons la capacité, le droit et le pouvoir de voir et de partager une image, de la rendre visible ou non, de l’imposer ou non. Cette image, elle est à vous, elle est entre vos mains. Peut-être avais-je besoin de photographier un petit bout de ce panorama pour tenter d’y croire quelques instants, ou peut-être ai-je voulu témoigner parce que l’on m’a appris avec diligence que la mémoire est un devoir ; peut-être ai-je tout simplement souhaité éloigner la peur la plus féroce, tapie au fond de mes tripes, peut-être ai-je voulu dessiner une rupture, ai-je voulu dire au monde et aux bourreaux qu’il n’y aura pas de négationnismes, non, pas cette fois, parce que l’image est là, quelque part, au milieu des morts, parmi eux, parmi nous.
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Pris en otage par les médias de masse,
que galvanise la vitesse des moyens de communication, désorienté par la dissolution, dans les discours des États, de toute volonté politique proprement dite, confronté à la corruption des classes dirigeantes, le lecteur, spectateur, citoyen est en proie à une détresse tout animale : l’impuissance. Avec le document en main, on recouvre un peu de pouvoir sur le monde. Le pouvoir de la trace, l’appui de la preuve. Les fantômes sont avec nous qui ont des expériences antérieures à faire valoir, des points de vue inactuels à porter sur l’actualité. Ils nous aident à comprendre ce que l’on savait déjà. Le document permet de faire de la politique sur un mode critique et non idéologique. La différence ? Mettre en relation des faits ou des réalités que l’habitude et les opinions séparent, distinguer ce qu’elles rapprochent. Penser autrement les continuités et les discontinuités grâce au montage.