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Quand les gardiens me laissèrent tranquille dans ma cellule,
j’avais mal à la bouche. Je m’aperçus alors que, dans la rue, dans les bureaux, devant les registres, je n’avais cessé d’avoir le visage comme si je riais, la moue de celui à qui il n’arrive rien de nouveau. Je m’attendais à des coups de poings, à du sang, à quelque chose. Au lieu de cela, tout le monde me regardait d’un air ennuyé, comme si on avait été au café. Le dernier vint alors que j’étais dans ma cellule, il ouvrit le judas et m’appela. “C’est pour cette fois, pensai-je, il va me passer à tabac.” Mais il me donna une gamelle, une serviette de toilette, des couverts et tout le reste. Je fus assez bête pour lui demander pourquoi on m’avait arrêté. L’autre ne répondit même pas et referma le guichet.
La journée passa de cette façon, sans histoires. Il y avait un lit de camp, je m’allongeai sur le lit de camp. Étant allongé, je voyais un peu de ciel. La fenêtre était fermée par des barreaux et des lames de verre en travers qui ne permettaient pas de regarder dans la cour. “On n’est pas mal, pensai-je, il suffirait de savoir si ça va durer.” De temps en temps quelqu’un frappait au judas – pour le pain, les achats, l’appel, le bidon d’eau. “Pourvu que ça dure”, me disais-je. On pouvait même s’acheter des cigarettes.
Il m’était resté une crainte depuis le matin : celle de ne pas avoir le temps de penser à ce que je devais répondre. de ne pas pouvoir me régler sur ce qu’ils savaient. “S’ils ont pris Pippo aussi, me disais-je, c’est fini.” Puis je disais : “Mais s’ils m’ont arrêté, ça veut dire qu’ils savent tout.”
La prison ce n’est pas d’être enfermé, c’est l’incertitude. Je marchais de long en large dans ma cellule. Je pensais aux camarades, au Commandant, à ce que racontait Scarpa. “C’est comme si on était mort, pensais-je. Ce fou-là.”