Maintenant tu te rends compte
que les deux ou trois ans
de cette histoire de famille
avec tous ce que tu as entendu,
t’ont appris
que tu n’as rien appris du tout.
Tu te diras
“Il faut que j’arrête maintenant.”
“Maintenant, je vais vivre ma vie,
à ma manière, selon ma propre vérité.”
Et après,
ta vie sera différente.
À un moment donné,
tu laisseras la famille comme elle est
et tu vivras ta vie
d’une toute autre manière.
C’est mon avis.
Quant à la vérité,
oublie.
Qu’est-ce qui est vrai ?
.
La compassion interdit souvent de penser, alors que penser n’interdit pas la compassion.
Sauf qu’on peut opter pour une compassion retenue, privée, intime, et ne pas tenir pour digne cet affichage de larmes, de cris, de pleurs, de sanglots, le tout en présence des caméras et des photographes. L’affichage de compassion n’est pas forcément preuve de compassion, mais il est toujours preuve d’affichage. Après La Rochefoucauld et les moralistes français, Nietzsche nous a appris à nous méfier de la compassion : elle est souvent l’une des modalités de l’amour de soi : Dieu qu’on se sent grand quand on se fait petit ! Dieu qu’on est orgueilleux quand on affiche sa modestie ! Dieu qu’on est égoïste quand on fait un spectacle de son amour des autres ! Laissons là le narcissisme de notre époque qui fait de l’exhibition de son pathos une valeur supérieure à l’exercice de la pensée.
#79
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Chacun a un trésor intime de représentations
– normalement on peut les réduire à quelques grands thèmes – qui composent le vivier de toutes ses stupeurs. Il se retrouve face à elles aux moments les plus inattendus de l’année, suggérées par une rencontre, un moment de distraction, une allusion; et chaque fois il plonge en elles son regard comme on scrute son visage dans un miroir. Elles sont une réalité énigmatique et pourtant familière, d’autant plus irrésistible que toujours sur le point de se dévoiler sans que jamais on ne la découvre. Il arrive qu’on y pense volontairement, comme à des souvenirs qu’elles sont affectivement, et que l’on s’efforce d’en remonter le courant, comme si leur origine en cachait le secret. Mais elles n’ont pas d’origine, c’est là le problème. À leur source il n’y a pas une “première fois” mais toujours une “seconde”. Telle est leur ambiguïté : en tant que souvenirs, elles commencent à exister seulement à partir d’une deuxième fois et, comme un Nil mythique, elles dissimulent leur tête.