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Si les nations préfèrent considérer que la destruction de vies individuelles
et le ratage de leur histoire ne sont pas dus à elles-mêmes et à leurs propres erreurs, mais résultent plutôt d’un malheur provoqué par des forces malveillantes et étrangères, peut-être comme une malédiction nationale, le destin, voire la fatalité : eh bien alors, on peut dire qu’elles ont besoin de l’antisémitisme.
L’âme des petites nations d’Europe orientale, souffrant du complexe du père, noyées dans une perversion sadomasochiste, ne peut apparemment pas vivre sans les grands oppresseurs sur lesquels elles peuvent décharger leur malchance historique, et sans le bouc émissaire des minorités sur lequel elles peuvent reporter la haine et les ressentiments accumulés par les défaites quotidiennes. Sans l’antisémitisme, quelle identité aurait un homme constamment occupé de son identité spécifiquement hongroise ? Mais qu’est-ce que la spécificité hongroise ? Prise ainsi, elle n’apparaît que dans des affirmations négatives dont la plus simple – si on ne tourne pas autour du pot – est la suivante : est hongrois ce qui n’est pas juif. Bon, mais qu’est-ce qui est juif ? c’est pourtant évident : ce qui n’est pas hongrois. Le juif est celui dont on peut parler en termes génériques, il est comme tous les autres juifs, on peut cerner ses caractéristiques dans un précis, à l’instar d’une espèce animale pas trop complexe (je pense naturellement à des animaux nuisibles camouflés sous une fourrure soyeuse), etc ; et comme le mot de “juif” est devenu en hongrois une insulte, le ténor politique qui s’est soudain découvert une passion nationaliste, qui tourne autour du pot et qui a vieilli dans une honorable collaboration dit seulement “étranger” – mais tout le monde sait qui il faut, à l’occasion, spolier de ses droits, stigmatiser, piller et battre à mort.