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Nous étions maladroitement enlacés.
Maintenant je pouvais apprécier avec mon propre corps son expression physique, son ossature solide, l’extrémité délicate de ses doigts et la souplesse de ses muscles qu’il déployait pour les clavecins. Ses bras essayaient petit à petit de combler le vide entre nous. Je ne m’y suis pas opposée.
– Il suffit de vous asseoir ici et de poser vos doigts sur le clavier, et les sons vont sortir tout de suite. Ces doigts qui sont là…
Je serrais sa main gauche. Mon véritable souhait était de rester ainsi éternellement. Et pendant ce temps-là, en paroles, je répétais que je voulais qu’il touche le clavecin et pas moi. Mais ce n’était pas contradictoire. Ma peau, mon sang, ma langue et mes tympans, tout en moi le désirait. Et je ne pouvais pas tricher.
Nous avons joint nos lèvres. La couverture est tombée une deuxième fois. Il y a eu un bruit de chaises ébranlées. Ce fut un baiser calme. Un baiser qui a réchauffé discrètement les ténèbres derrière nos paupières.
Il a fait tout ce que je voulais. Il a réveillé un à un les plaisirs gelés. Nous avons enlevé nos vêtements et nous nous sommes allongés sur la couverture sans nous éloigner un instant l’un de l’autre. Ses doigts remuaient si doucement qu’ils donnaient l’impression d’avoir peur. Comme s’il jouait sur mon corps au lieu de toucher un clavier. Sous les yeux du clavecin.
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Le cinéma est l’un des rares lieux publics où l’on va pour se réjouir de manière privée quoiqu’en compagnie d’autres maniaques.
Je suis de plus en plus convaincu que tout ce qui nous éjecte de chez nous est bon et que tout ce qui nous y enferme – “la petite maison, c’est confortable” – est mortel. Aller au cinéma, c’est traverser la rue, faire la queue, fumer une cigarette dans le vestibule, acheter des pralines pour gêner son voisin pendant le film, jouir de la vue des genoux exhibés par la jeune voisine qu’un heureux hasard a bien voulu placer à nos côtés, entendre les toux, les rires mal à propos, des cris de panique… Aller au cinéma, c’est applaudir lorsque le héros vient racheter la jeune fille séquestrée par les “Commanches”. La grâce du cinéma tient de cette révélation faite à un groupe – au moins je le crois : nous ne pouvons pas arrêter, répéter ni interrompre une manifestation qui vient des hauteurs. Le cinéma n’est pas un divertissement individuel que je contrôle au gré de mes humeurs. Voir un film tout seul à la maison c’est un peu comme s’enivrer à l’eau de javel dans sa cuisine. La télévision nous soumet en revanche à des horaires et elle est aussi fugitive que le vrai cinéma. Mais la vidéo nous livre à nos caprices privés et nous ne serons jamais aussi angoissés que lorsque nous restons seuls avec nous-mêmes. Faust demanda à Méphidtophèles un moment assez beau pour qu’il puisse crier : “Arrête-toi ! ” c’est ainsi qu’il tua Marguerite…