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Depuis quelques années déjà, le tour est venu aussi pour A.
Les anniversaires comptent un nombre d’années incroyablement élevé et les ennuis corporels l’empêchent de vivre plus longtemps au jour le jour comme ses chers animaux ou comme son courageux voisin. Il devrait s’être familiarisé avec la mort – non pas celle des autres, comme le médecin chef conseiller Behrens, ce vieil employé de la mort du sanatorium Berghof, mais avec la sienne propre. Il vécut pendant des années dans des conditions qu’il n’y a pas lieu de décrire ici, mais le fait est qu’il dut attendre la mort de jour en jour et d’heure en heure. Il vit s’en aller ses semblables de toutes les façons possibles et imaginables. Ses camarades, on ne peut pas le dire autrement crevaient sous les coups qu’on leur administrait, mais aussi dans les convulsions, sous l’effet du cyclohexane B. Il enjamba distraitement des amas de cadavres, marcha dans des couloirs souterrains, où des hommes étaient suspendus à d’énormes crochets en fer. Que s’est-il passé en moi, jadis, se demande A, et se donne une réponse dont il sait que d’autre s’en méfieront : je n’avais pas peur. Non, ce n’était pas du courage, car nombre de choses me précipitèrent dans la terreur. J’étais jeune. Et la mort qui me menaçait venait de l’extérieur : il n’est pas de plus belle mort au monde que d’être terrassé par l’ennemi. Elle venait de l’extérieur, même quand ce n’était pas une mort par un coup de matraque ou au gaz. La dysentrie et le phlegmon étaient des attaques provoquées par un monde hostile et en cela effrayantes mais ne suscitant pas la crainte comme de mourir lentement de l’intérieur, dans le déclin qui me tient compagnie comme un ami intime, et que je fréquente maintenant que j’ai vieilli et que des diagnostics de médecin pas très brillants et quelques chiffres me font comprendre que la déclivité a commencé. Mourir assassiné, ce qui dans mon cas jadis, aurait pu être compris comme un meurtre de l’intérieur, est une attaque du monde contre ma personne. Un tube d’acier s’abat sur moi, un coup est tiré, une fièvre soudaine m’abat. Je suis – j’étais, je m’en souviens exactement – dans l’état d’esprit d’un homme qui perd confiance dans le monde parce que lui manque dans sa misère l’espoir qu’on lui vienne en aide. Mourir était terreur.