Or, si j’ai comparé plus haut la vie avec le cinéma

et dit que nous regardions la vie comme un film, je m’empresserai d’ajouter qu’au cinéma nous ne nous laissions jamais personnellement mettre en cause. Mes parents, qui aimaient bien aller de temps en temps au cinéma, classaient cependant, au départ, les films en deux catégories : il y avait les “moroses” et les “loufoques”. La chose se présentait de la façon suivante : un film était “morose” quand on y montrait les côtés tristes, désespérés ou inharmonieux de l’existence. Ces films ne plaisaient pas à mes parents ; ils trouvaient qu’il valait mieux ne pas montrer du tout ce genre de films car, “en fait, la vie n’était pas du tout comme ça”. Ils partaient du postulat que la vie ne pouvait vraiment pas être aussi noire que dans un film de ce genre “morose” et, par conséquent, que ce film était, au fond, fantaisiste, et inutilement pessimiste. Pour l’auteur, ce n’était pas un mérite que de ne montrer que la méchanceté, la noirceur et la tristesse.
Les autres films étaient “loufoques”, c’est-à-dire comiques, mais d’une manière tout aussi fantaisiste que les “moroses” étaient tragiques. “En fait, la vie n’était pas du tout”, non plus, telle qu’on la représentait dans les films “loufoques”. Ainsi les deux genres étaient caractérisés par le fait qu’ils représentaient quelque chose de complètement fantaisiste et impossible, à quoi l’on ne pouvait et ne devait donc pas s’identifier. Une subdivision des films “moroses” était constituée par les “russes”. ceux-là n’étaient pas réalistes non plus car on y traitait constamment des problèmes de l’âme et “alors vraiment, la vie n’était pas du tout comme ça”. Comme mes parents n’étaient pas habitués à discourir sur les tourments de l’âme, ces personnages qui ne faisaient jamais rien d’autre devaient leur paraître étranges et même invraisemblables. Peut-être bien que les “Russes”, ce peuple exotique et parfaitement inconcevable sous nos latitudes, parlaient de l’âme mais ce sujet, dans notre monde, n’était pas pensable.

Erlendur se gardait de confondre les hasards et le reste.

Il savait mieux que quiconque par son travail que, parfois, les coïncidences étaient organisées. Elles pouvaient être soigneusement agencées dans la vie d’individus qui jamais ne soupçonnaient quoi que ce soit. Dans ce cas, les évènements ne portaient plus le nom de hasard. On pouvait les définir de diverses manières, mais dans la profession d’Erlendur il existait un seul mot pour le faire et c’était le mot crime.

4. Il y a un monde de voisins, mais ceux-là dorment.

Quelqu’un, pourtant, doit ne pas dormir, et regarder les arbres, par la fenêtre obscure de sa chambre, et lui aussi, les arbres, il vient de se tourner vers eux : la succession des arbres :

4.1. quelque chose de seul
coule dans la bouche

malgré l’à foison
récent des arbres

& beaucoup fréquenter
l’air de certains visages

n’empêche rien : le très loin
tout cela des gens

à qui j’adresse des mains innombrables

4.2. un simple élancement de clocher
vers la respiration bleue du ciel

et là où je suis
dans la confusion secouée de vent du saule

les lianes de feuilles passent
& repassent doucement

sur mon visage hospitalier, c’est tout tu vois

4.3. tu sais, mes frères et moi dénudions les arbres de leur écorce dans la forêt et les arbres à la fin mouraient, les pauvres arbres,
c’est seulement un faux souvenir
pour se provoquer une enfance

4.4. assis sur un fauteuil en cuir
à l’orée de la terrasse en bois

à l’orée de la forêt de chênes
& là-bas dans la clairière étreinte par un peu de pluie

le chêne, le vaguement seul,
prononce branche après branche

la claire silhouette de lui-même

4.5. les arbres tu vois,
leur infiniment lente existence

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