Je connaissais encore peu de choses, malgré quelques référents forts, quelques maîtres puissants.
Notamment grâce aux dernières radios libres autour Paris – comme Radio Cité 93, et l’émission Alerte Rouge.
Et une petite copine punk, qui vivait dans une maison à la Tardi, dans les campagnes brûlées, vers Ecouen (95).
Pas de sexe : on attendait la fin du monde, on fraternisait dans l’impasse, les drogues chimiques de supermarché.
On achetait des cassettes pirates, aux puces de Saint-Ouen, des couteaux, des médicaments volés.
Elle enregistrait des tas de choses sur ces radios, j’écoutais religieusement ces fragments collectés.
Je me changeais dans le local à poubelles, le matin très tôt, pour m’habiliter avant d’aller à l’école.
On aurait souhaité voir tout brûler, pourtant nous étions complètement inoffensifs.
J’écoutais les Sex Pistols, Tuxedomoon, Klaus Nomi, sur les quais de gare, glacés par l’hiver.
Vraiment glacés : nimbés de givre, les caténaires crépitant dans l’air humide, sous l’effet du gel.
Il me semblait que tout ce décor était fait pour aller avec la musique : l’effet walkman : surpuissant.
On rêvait de se jeter sous un train. On admirait, on enviait ces courageux, ces fous de douleur.
Un soir, je me suis retrouvé dans une fête, Quai de Jemmapes, à Paris, chez un couple de psychanalystes.
La femme était amoureuse de ma mère et tentait des avances depuis longtemps.
C’était un grand appartement, au dernier étage. Depuis le balcon, on voyait le canal bordé d’arbres,
Je me préparais à l’ennui, dans un contexte aussi mondain, quand quelqu’un a mis Dantzig Twist sur la platine :
Révélation : je ne connaissais rien d’aussi envoutant, d’une telle noirceur d’encre.
Rien d’aussi efficace, de sec, dans la mélodie assumée, la faculté immédiate à camper une ambiance qui ne trompe pas, qui ne ressemblait à rien de connu.
Guitares tranchantes, riffs imparables : le divin Marquis était né, dans ma cosmologie intime, et cette sensation émotionnelle, cette couleur sentimentale sont restées pour moi uniques à ce jour.