c’est donner des gages à une exploitation en habits neufs, aussi retorse que l’ancienne.
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Il y a dans la tyrannie du travail, rompant à son esprit et à ses cadences jusqu’aux moindres jouissances, une trahison de l’enfance et des promesses que la maturité lui laissait entrevoir.
Comment ignorer que cette plaie, rouverte à chaque instant, est la cause principale de notre détresse existentielle, la mal être qui affecte l’univers entier ? Qu’en la vie dépecée par le travail réside le malaise de notre civilisation ?
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Le consumérisme a imposé un ordre de mesure à la représentation de soi, à l’art des apparences, à la mise en scène du quotidien, aux fastes dérisoires du mal de survie. Il a gradué le prix des êtres selon le prix des choses qu’ils ont le pouvoir d’acheter.
Ainsi, au rythme de la crétinisation publicitaire, le culte de la mode s’est érigé en critère d’excellence et d’exclusion. L’emprise du marché exerce sur l’enfance un pouvoir de subordination qui substitue au désir d’être soi cette envie de paraître, essentiellement compétitive, d’où procèdent l’agressivité, la frustration, la violence, l’instinct prédateur.
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Dénoncer une injustice ou une barbarie sans entreprendre d’éradiquer le mal à la racine expose à un risque dont tout pouvoir constitué sait habilement tirer profit : il cherche des coupables au lieu d’agir sur les conditions qui les produisent.
La vieille tradition du bouc émissaire imprègne de ses suintements nauséabonds la plupart de nos comportements. La plus lâche des commodités consiste à se délecter impunément de son malaise, de ses humeurs sur un proche, un voisin, un compagnon, soudain accusés de déviation, de carence, de trahison, plutôt que de s’en prendre à la cause des contrariétés.
L’honnête dénonciateur d’une indignité se mue avec aisance, sinon avec complaisance, en un indigne délateur. Le négatif tient sa proie et la proie se fait prédatrice. Illuminé de vérités dogmatiques, le sentiment humain s’obscurcit et rejoint l’ombre où croupissent indistinctement les objets d’un opprobre vrai ou faux.