Le principe directeur du postanarchisme ? Son impératif catégorique ? Son utopie, autrement dit son idéal de la raison ? Son point vers lequel tout doit tendre ? Sa maxime directrice ? Sa formule ? Cette sublime phrase de La Boétie qui constitue le coeur de la pensée politique du Discours de la servitude volontaire : “Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres.” Car la libération ne vient d’ailleurs que du vouloir de ceux qui la désirent. Elle n’est pas une affaire qui suppose un demain, un Grand Soir mythique, elle ne tombe pas du ciel en cadeau offert par les exploiteurs. Elle ne suppose pas la charité du capitalisme ou la bienveillance des Maîtres. Elle ne surgit pas quand d’hypothètiques conditions historiques se trouvent réunies. Elle n’est pas dépendante de l’action d’une avant-garde éclairée du prolétariat. Elle n’arrive pas par la grâce de l’insurrection d’un sous-prolétariat en haillons enfin révolté. Elle advient parce qu’on refuse de donner au pouvoir ce qu’on lui donne habituellement pour être.
Le génie politique de l’ami de Montaigne (qui écrit ce grand texte de philosophie politique libertaire vers l’âge de 17 ans) est simple : nous vivons dans un état de perpétuelle angoisse car nous ne sommes jamais certains que le Maître sera bon, puisqu’il est en son pouvoir d’être méchant s’il le désire ; nous craignons le pouvoir, bien qu’il doive uniquement son existence au crédit qu’on lui donne : il suffit qu’on cesse de le soutenir, il s’effondrera de lui-même, comme un colosse aux pieds d’argile ; nous sommes une multitude et le pouvoir est un, l’agressivité, la guerre, la violence ou la brutalité ne sont pas utiles là où il suffit de ne plus entretenir ce qui nous opprime et que nous avons créé nous-mêmes ; nous nous infligeons un mal et nous pouvons arrêter cette automutilation ; nous ne voulons pas de la liberté, car rien ne serait plus facile, si nous le souhaitions, que de nous en emparer ; notre silence ou notre passivité nous font complices du pouvoir ; nous sommes nés libres, la liberté est notre bien le plus naturel (il suffit de voir comment se débat un animal pris au piège…), mais la force, puis la ruse, enfin l’habitude créent l’état de fait contre lequel nous ne rechignons plus ; la soumission génère de la veulerie, de la lâcheté, un renoncement au courage, une incapacité à la grandeur, d’où l’intérêt des gouvernants à abêtir leurs sujets ; la servitude s’entretient par la multiplication des divertissements organisés par le pouvoir en place : jadis les jeux, les spectacles, le théâtre, au temps de La Boétie, les festins et les réjouissances, aujourd’hui nos versions contemporaines à ces activités anti-subversives – le sport, les jeux vidéo, la tyrannie informatique, la société de consommation ; la servitude s’entretient également par l’association du pouvoir et du sacré – en ce sens, le système médiatique ajoute une corde contemporaine à cet arc en créant une aura magique par la virtualisation du corps du roi ; la domination se perpétue par ceux qui y trouvent intérêt et se placent aux bons endroits, car ils se trouvent payés en argent ou en symbolique, ils agissent en courroie de transmission de la servitude.