la quasi totalité des groupes useront de ce que Jon Savage désigne sous le nom de tactique de choc. Concept assez vague en soi, mais dont l’intitulé est tout de même assez parlant pour imaginer de quoi il retourne exactement. L’idée de choquer un public potentiel, de le faire sortir de son statut de spectateur passif en le prenant à parti agressivement, en le violentant, en testant les limites de sa tolérance, n’aura bien sûr pas été l’apanage du seul mouvement industriel. Les exemples abondent dans l’histoire de l’art du XXe siècle qui auront usé de telles méthodes, devenues au fil du temps une sorte de procédé, de parcours obligé, perdant du coup toute efficacité et parfois même toute signification (le scandale envisagé comme une fin en soi), au point que même la publicité considère aujourd’hui qu’il s’agit là d’un moyen comme un autre de parvenir à ses fins. La tactique de choc employée par les groupes industriels, en dehors même des formes qu’elle a pu revêtir, a eu ceci de singulier de n’avoir été envisagée comme une technique de vente. Elle fait partie intégrante du message lui-même, message qui justement ne sera jamais clairement explicité (sauf dans le cas de Test Dept par exemple) puisque la fonction première de la tactique de choc est d’amener le public à s’interroger, d’ailleurs pas tant sur la nature et le sens de ce qu’on lui soumet que sur lui-même, sur son propre rapport et ses propres réactions (d’accréditation ou de rejet, peu importe au fond) en face d’une réalité brutalement révélée, une réalité présentée comme immédiatement insupportable. Les jeux sur les interdits (sociaux, politiques, sexuels, etc), la provocation gratuite ou pas, la violence dirigée contre le public, l’utilisation de visuels de sinistre mémoire, associés à la dureté de la musique même, n’ont pas d’autre finalité dans la logique industrielle que d’amener le public à faire un retour sur lui-même, à briser la carapace que chacun se forge pour conserver son intégrité émotionnelle (comme on parle d’intégrité physique), le forçant à se poser des questions sur son rapport au monde et à la sinistre réalité de ce dernier. D’où l’abondance dans l’iconographie des groupes (images projetées en concert ou pochettes des disques eux-mêmes) d’éléments morbides, malsains, répugnants, d’ailleurs souvent tirés d’archives historiques, policières ou médicales, également de publications à caractère pornographique ‘avec pour celles-ci une prédilection pour le sadomasochisme), donnant à voir un monde où tout n’est que mort en masse, torture, folie et souffrance. Autant d’éléments qui créeront progressivement tout un folklore industriel, une esthétique du pire, aussi bien une attitude propre au genre, qui trouveront d’ailleurs des répercussions dans d’autres modes d’expression que la seule musique (d’où le titre de Industrial Culture Handbook, qui soulignait cette dimension-là). Mais la tactique de choc est d’ailleurs beaucoup plus intéressante à analyser du point de vue de son caractère stratégique plutôt que celui de la nature des matériaux utilisés pour produire le choc en question.