Le cinéma s’est transformé en une lampe qui s’allume et s’éteint, un miroir tournant semblable à celui que Franz Mesmer utilisait pour hypnotiser ses patients. Il s’agit d’en mettre plein les yeux au spectateur pour qu’il n’y voie plus rien ; de lui en mettre plein les oreilles pour qu’il n’entende plus rien. Comme Baruch Spinoza le pressentait : “Plus il y a de choses auxquelles est jointe une image, plus souvent elle devient vive. Plus il y a de choses en effet auxquelles une image est jointe, plus il y a de causes pouvant l’exciter.” Au nom de l’impatience, la sensation règne, et l’intelligence comme l’émotion disparaissent.

(…) Ce spectateur impatient est une création des publicitaires ; du désir mortifère de vendre. Et, pour vendre, il faut faire saliver et distraire. la méthode est aussi simple que le dressage du chien d’Ivan Pavlov : on exhibe un instant le produit (superproduction ou candidat à l’élection), le spectateur ou le citoyen, comme le chien, salivent, puis on le soustrait aussitôt à leur regard pour provoquer frustration et désir. Ce qui vaut pour n’importe quel produit alimentaire, ménager rude service vaut désormais de la même manière pour le cinéma, la télévision et le politique.

(…) Cette impatience élevée à la dignité de vertu cardinale reflète aussi l’emprise du management contemporain. Fini les pauses, les temps morts, la réflexion sur et au travail. Au nom de la sainte productivité, l’homme ou la femme à la tâche ne doit pas lever le nez de la journée, de même qu’il ne doit pas quitter l’écran des yeux (l’écran du cinéma – obligation publicitaire -, celui de son ordinateur – obligation de rendement). Le salarié, le citoyen et le spectateur sont dressés à l’urgence.