et dit que nous regardions la vie comme un film, je m’empresserai d’ajouter qu’au cinéma nous ne nous laissions jamais personnellement mettre en cause. Mes parents, qui aimaient bien aller de temps en temps au cinéma, classaient cependant, au départ, les films en deux catégories : il y avait les “moroses” et les “loufoques”. La chose se présentait de la façon suivante : un film était “morose” quand on y montrait les côtés tristes, désespérés ou inharmonieux de l’existence. Ces films ne plaisaient pas à mes parents ; ils trouvaient qu’il valait mieux ne pas montrer du tout ce genre de films car, “en fait, la vie n’était pas du tout comme ça”. Ils partaient du postulat que la vie ne pouvait vraiment pas être aussi noire que dans un film de ce genre “morose” et, par conséquent, que ce film était, au fond, fantaisiste, et inutilement pessimiste. Pour l’auteur, ce n’était pas un mérite que de ne montrer que la méchanceté, la noirceur et la tristesse.
Les autres films étaient “loufoques”, c’est-à-dire comiques, mais d’une manière tout aussi fantaisiste que les “moroses” étaient tragiques. “En fait, la vie n’était pas du tout”, non plus, telle qu’on la représentait dans les films “loufoques”. Ainsi les deux genres étaient caractérisés par le fait qu’ils représentaient quelque chose de complètement fantaisiste et impossible, à quoi l’on ne pouvait et ne devait donc pas s’identifier. Une subdivision des films “moroses” était constituée par les “russes”. ceux-là n’étaient pas réalistes non plus car on y traitait constamment des problèmes de l’âme et “alors vraiment, la vie n’était pas du tout comme ça”. Comme mes parents n’étaient pas habitués à discourir sur les tourments de l’âme, ces personnages qui ne faisaient jamais rien d’autre devaient leur paraître étranges et même invraisemblables. Peut-être bien que les “Russes”, ce peuple exotique et parfaitement inconcevable sous nos latitudes, parlaient de l’âme mais ce sujet, dans notre monde, n’était pas pensable.