Cahier de citations


L’histoire de l’art intègre dans ses lieux communs

l’idée selon laquelle la naissance de la photographie détruit une certaine façon de peindre. Nadar tue Ingres et accélère l’holocauste de ces peintres qui, tel Zeuxis, visent la représentation la plus absolument fidèle de la réalité. Les sels d’argent créent une révolution esthétique. Les impressionnistes répondent à la demande et résolvent l’aporie entr’aperçue : ils ne peignent plus le sujet mais la lumière. L’effet de la lumière sur le monde. Prétextes de cathédrales, de meules de foin, de garrigues : seules importent dès lors l’énergie, la force des luminosités. En route pour l’abstraction…

Etrangement, on ne procède jamais à rebours et l’on ne se demande pas comment photographier après cette secousse esthétique. Le tirage bromuré abolit la toile figurative, certes, mais après ? Quand une autre manière de peindre prend son tour, de quelle façon dès lors photographier ? Que faire avec son matériel sur trépied, ses plaques, puis ces appareils qui, en devenant portatifs, maniables, rapides, révolutionnent la manière de penser en termes d’image ?

L’étymologie répond. Photographier, c’est écrire avec la lumière. Autrement dire : viser un usage lumineux du monde. Lumineux à tous les sens du terme : en maîtrisant la lumière, évidemment, mais aussi en rendant le monde plus éclatant, plus visible. L’artiste a désormais le devoir de produire une épiphanie du monde, créer une réalité, capter et capturer non pas son essence, mais son existence. Pas d’art aussi peu platonicien que la photographie… La chambre obscure ne réactive pas l’allégorie de la caverne, mais le nominalisme cynique en vertu de quoi le réel coïncide avec son mode d’apparition. Le photographe, le bon, triomphe en démiurge de cette superposition.

En l’absence de perturbations atmosphériques,

assez fréquentes, le signal parvenait correctement, donnant lieu à des instants magiques. Mais souvent, à peine réussissais-je à trouver le Luxembourg qu’un cauchemar envahissait ma chambre : aprsè un “Achtung, Achtung”, une voix de femme, creuse et monotone, se mettait à réciter des séries de chiffres : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 0 – “Eins, Zwei, Drei”, etc. Cette litanie était suivie d’un morceau de musique populaire autrichienne iodlée, puis elle recommençait. J’avais vite deviné de quoi il s’agissait, et cette découverte me faisait frèmir : la guerre froide battait son plein, les chiffres étaient des informations secrètes et codées, destinées aux espions.

On les entendait partout sur les fréquences courtes et moyennes : des émetteurs allemands, russes et anglais ; il y avait là une voix lointaine de femme qui répétait “Papa November, Papa November” durant cinq minutes, au son fébrile de flûte de charmeur de serpents en arrière-fond, puis se mettait à lire en allemand des séries de chiffres : 406, 422, 348, 448, 462… D’autres stations portaient des noms tels que Papa Zulu, Charlie November, Sierra Tango, Foxtrot Bravo. Certaines avaient leur propre air de reconnaissance, par exemple cet émetteur britannique qui commençait toujours par les premières mesures d’une chanson populaire, puis une voix de femme lisait des chiffres avec un accent anglais à couper au couteau ; il y avait une station espagnole dont l’acoustique était si rudimentaire que de temps à autre, on entendait un coq crier. La plus effrayante d’entre elles commençait par quelques notes sortant d’une boîte à musique, suivies des chiffres prononcées par une voix de jeune fille allemande, douce et innocente.

– Tu en veux ?

et ma mère, m’obligeant à marcher plus vite
– Ne réponds pas
non, je me suis trompée, ça ne me concerne pas, ça concerne la femme à la bergeronnette et à la plage, celle qui m’a ordonné
– C’est toi qui vas clore ce livre
celle qui nous commande ou à qui on a commandé de nous commander, un type que je ne connais pas s’énervant contre nous, apportant des modifications, nous remplaçant l’un par l’autre
(- Ce n’est pas comme ça zut alors)
reprenant du début, le type qui a décidé il n’y a pas longtemps, je crois
– C’est toi qui vas clore le livre
et bien qu’il se repente de me faire clore le livre il continue d’écrire par entêtement, autrement dit je suis dans cet appartement par très loin de Beato à attendre quelqu’un qui ne viendra pas ou alors n’attendant rien, n’entendant rien, ne parlant pas, je suis avec la bellerine sur le guéridon que je ne regarde pas et que je ne remonte jamais, on m’a photographiée avec elle le jour de ma première communion à l’époque où sa petite musique plaisait aux gens, le mari de ma cousine l’a apportée un jour de la foire de Pombal où elle et trente autres, certaines avec des jupes bleues, d’autres avec des jupes vertes, sur un bout de tissu par terre, le mari de ma cousine, sans refermer la porte
(signe d’enthousiasme)
l’a débarrassée de son papier de soie, d’un deuxième papier de soie, d’un troisième papier, pas de soie, une feuille de journal
(les blancs jouent et gagnent)
en nous appelant
– Venez voir
il a donné sept ou huit tours avec une sorte de clé, nous a fait reculer en agitant ses mains en l’air
– Attendez voir
il a défroissé la jupe du bout des doigts
– Il y en avait en bleu et il y en avait en vert
ma cousine
– J’aurais préféré le vert
et la ballerine, tressaillant à mi-parcours sur une résistance quelconque, un défaut du mécanisme, une pointe, une aspérité, s’est mise à bouger, le mari de ma cousine, à ma cousine avec un calme haineux, lent, trop calme et trop lent derrière lequel on devinait des cris, un coup de pied dans une chaise, une bouteille qui tombait
– Tu aurais préféré le vert ? Et pourquoi ça ?
et avant que ma cousine n’ait énuméré des raisons, à mesure que la musique pas encore des petites gouttes, une pluie de notes, celles qu’au printemps, quand par hasard un nuage, chantent les géraniums, à mesure que la musique devenait plus rapide, plus claire et que la ballerine bondissait sur l’aspérité, se penchant vers la droite et vers la gauche avec une expression impassible
(au début, des yeux, des lèvres, ses traits complets, des crins dans des trous, quatre ou cinq, imitant des cheveux)
la ballerine une secousse sur le défaut du mécanisme
(comme moi parfois à cause de ma cuisse)
avant de le sauter en faisant une embardée, ma cousine, pleine de remords
– Ne va pas penser que je n’aime pas le bleu
une des bouteilles du buffet s’approchait du bord, indécise
– Je tombe avant les autres ?
des larmes n’appartenant à personne pendaient au plafond dans le salon à la recherche de paupières

Je ne peux pas ignorer,

assenait-il, l’importance de la dimension humaine, elle demeure pour moi une constante préoccupation, c’est en vertu de celle-ci que j’ai insisté pour que vous participiez personnellement à toutes les réunions relatives aux choix fondamentaux de la société. Et si, pendant cette longue épreuve qu’a été pour nous la restructuration, je vous ai demandé d’affiner et d’affiner encore les critères d’évaluation du personnel, c’est parce que j’ai toujours eu le souci de conjuguer le facteur humain avec les nécessités économiques. Même au plus fort de la crise, sachez que je n’ai jamais ignoré combien cette question était centrale. Toute entreprise, de l’ouvrier au directeur, s’y voit un jour confrontée. De l’ouvrier au directeur, ponctua-t-il. Puis il marqua un long silence, je vis sa bouche se tordre, et tandis qu’une ombre de frayeur passait dans son regard, je l’entendis déclarer à voix sombre en pesant sur chaque syllabe : je sais très bien, monsieur, que c’est Karl Rose qui vous a mandaté pour me surveiller.

L’architecture contemporaine

est souvent production de célébrités – générant en province ces clones, qui se constituent une gloire locale en pillant les magazines spécialisés et en recopiant plus ou moins précisément les dessins qui triomphent sur le restant de la planète. Le style cosmopolite définit la patte d’une poignée d’architectes actifs sur le globe, chacun se marquant formellement à la culotte. Peu de ruptures franchement lisibles dans ce monde uniforme qui réplique et duplique l’uniformisation planétaire des goûts et des modes de vie. Un même bâtiment pour tous ? Le rêve de tous les régimes totalitaires qui n’en espéraient pas tant pour nourrir la servitude volontaire.

Quand il entra dans le marché aux pantoufles,

il était sur le point de se convaincre que c’était lui, et non la ville, qui avait changé. Ce qui était impossible, puisqu’il avait percé le secret de la ville, il l’avait décidé dès le moment où il avait pu déchiffrer les lettres sur son visage. Planté devant la vitrine d’un marchand de tapis, quelque chose le poussa à croire qu’il avait déjà vu les tapis exposés, qu’il y avait posé le pied, des années durant, avec des souliers crottés ou de vieilles pantoufles ; il connaissait bien, se disait-il, le marchand qui buvait du café sur le seuil de son échoppe, et qui le surveillait d’un oeil soupçonneux ; l’histoire, pleine de petites fraudes et d’escroqueries sans envergure, de cette boutique qui sentait la poussière, lui était, semblait-il, aussi familière que sa propre vie. Il eut la même impression devant les vitrines des orfèvres, des antiquaires et des marchands de chaussures. Deux ruelles plus loin, il se dit encore qu’il connaissait toutes les marchandises qui se vendaient dans le Grand Bazar, depuis les aiguières de cuivre jusqu’aux balances à fléau ; tous les vendeurs guettant le chaland derrière leur comptoir, tous les passants. Toute la ville d’Istanbul lui était familière ; elle n’avait plus aucun secret pour lui.

N’appelle-t-on pas “cinéma”,

désormais, de manière frauduleuse, des réalisations audiovisuelles qui ne sont en réalité que des téléfilms, produits par des chaînes de télévision françaises, pour elles, et selon leurs normes ? Si l’on continue à nommer cela “cinéma”, et à pratiquer l’hypocrite fiction du “passage en salles”, n’est-ce pass avant tout pour permettre à ces produits d’obtenir des subventions, et accroître ainsi les profits des chaînes qui les commandent ? Il y eut un art, en somme, qui sut, comme tous les arts, développer un langage spécifique, formidablement riche et varié, créer une esthétique, de la beauté, et élargir notre intelligence du monde : c’est tout cela qui semble liquidé, dès lors que le “cinéma” devient, deplus en plus, une marchandise comme les autres.

– Mourir !

répéta Cora d’un ton plus calme et plus ferme ; la mort ne serait rien ; mais l’alternative est horrible ! Il veut, continua-t-elle en baissant la tête de honte d’être obligée de divulguer la proposition dégradante qui lui avait été faite, il veut que je le suive dans les déserts, que j’aille avec lui joindre la peuplade des Hurons, que je passe toute ma vie avec lui, en un mot que je devienne sa femme. Parlez maintenant Alice, soeur de mon affection, et vous aussi major Heyward, aidez ma faible raison de vos conseils. Dois-je acheter la vie par un tel sacrifice ? Vous, Alice, vous, Duncan, consentez-vous à la recevoir de mes mains à un tel prix ? Parlez ! dites-moi tous deux ce que je dois faire ; je mets à votre disposition.

– Si je voudrais de la vie à ce prix ! s’écria le major avec indignation. Cora ! Cora ! ne vous jouez pas ainsi de notre détresse ! Ne parlez plus de cette détestable alternative ! La pensée seule en est plus horrible que mille morts !

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