Cahier de citations
Tombes sans fleurs,
sans croix, sans allées ni chemins tracés
Il y a contradiction,
il y a état de guerre, quand des propositions sont faites par les artistes à un public qui, par définition, n’est pas prêt à les recevoir, à les assimiler, ou alors bien plus tard. C’était presque la définition de l’art moderne. Toutes ces relations de décalage, d’anticipation, de retard, s’effacent. Nous allons vers la paix, vers le présent pour tous.
Les photographies nous parlent certes un peu de celui qui les a faites
et des choses qu’il a photographiées. Mais elles ouvrent surtout, pour nous qui les regardons, un espace étrange, dans lequel nous glissons comme dans un rêve, entre le vide de l’absence et l’illusion de l’évocation. et où projetant souvenirs et désirs, nous reconstruisons momentanément notre existence. La peinture, par exemple, a toujours quelque chose de métaphysique, elle produit des fragments qui ne font pas un monde, mais composent une sur-réalité, une apparence devenant pensée, que nous devons à notre tour décrypter et investir de nos propres pensées. Les photographies, elles, envoient des signaux de temps à l’état pur. Un monde y est entrevu, non pas reconstruit par la pensée, mais un monde qui aurait pu être nôtre, et qui arrive jusqu’à nous par pulsations brèves, depuis un lieu et un temps inconnus, inassignables.
Et malgré tout, les photographies ne cessent de servir à la consolation. Elles sont appelées à témoigner que cela a bien été, et n’a pas été en vain. Que le monde existe, et nous avec, qu’il y a bien eu quelque chose, du vécu, du vivant. Mystérieuse et fascinante tautologie : voir, en plus ou moins grand différé, ce qui a été, et tenter ainsi de se convaincre que ce fut bien ainsi (ou l’inverse : nier obstinément, en dépit de cette apparence, que cela fut).
:”Mès, mesdames & messieurs, ène côse cor ! : pas d’é=fants !
– Ej’l’an’mètré pas : j’vos déshériterwa tout d’swite !”. (Et impitoyable à fond à mon adresse) : “Karld ? : c’eùt prinjipal’mét ton afère. Comét tu l’fés, cha m’eùu égal ; si cha te cante, tu l’fés ligatureu : aveuc dou “Tao” – : ét twoa, tu veus quô ?” – (Car Hertha avait soufflé 1 “épatant” très=distingué : pourquoi était=elle d’un coup si franko=fil ? Etait=ce une défense épéiste=versaillaise contre du bas=saxon accourant de toutes parts à la façon des trolls ? Tout à fait pro=Babel.) / : “Et quék’fwas que cha arrivrat quand min’me, Hertha : on fèt tout d’swite avorteu ! Ej’ coun’wa ène feùme=mèd’cin rai=zonâbe ; j’é djà d’vu t’le dîre.” (Et scoua résolument la tête : “Que nos gouvérnemants n’aviche pas cor dècideu cha oficièl’met – ?” – : “En Inde, c’est djà “légal”, tante : Le Nehrou, en vlà un qui est raisonnable !”.
Dans dix minutes, tu fumeras en enfer.
Lumière frissonne de froid à l’est :
je soufflais de l’air nasal, des têtes planaient autour de moi. Otoimonika. Je tapai du poing contre une colonne : des noms anciens y étaient inscrits ..ph. Celui qui est ivre connaît la voie ; je veux boire beaucoup. Je levai la main : un épais carré blanc avec 5 bâtonnets : avec lui je fis signe à Monika ! “Nous allons chercher une porte. Dans ces murs -” susurrai-je fanatiquement et futé comme l’or : “- une porte ! Qui nous éloignera de tout. De cette maudite imposture.” Elle se rapprocha de moi, en titubant, de fer. Elle dit d’une voix sifflante et bien disposée d’entre ses dents d’argent : “Pour aller où -” je levai une main haut au-dessus de la tête et la laissai redescendre comme par magie à la vitesse de l’éclair : dans les profondeurs – vers le bas – à travers des salles aux images ardentes – à travers le nombre presque infini – 7 gouttes de sang de Sniofiäll* et un cri de chouette ! Je courus le long des murs, appuyai sur des yeux d’oiseaux sculptés, tirai en suppliant sur des vêtements de convention, et je me heurtai à un cheval, front contre front : ils restèrent cois et froids.
Je me tournai vers ELLE. Je tendis ma face jusqu’à ce qu’elle se déchire. De la pierre m’écorchait les cheveux, derrière ; mon coeur, battant de cloche. Elle vint sur moi. Et nous nous regardâmes dans les yeux.
Melaphryénè**.
*Référence à un passage du roman de Friedrich de la Motte Fouqué Welleda et Ganna. Un récit de Germanie (1818). Sniofiäll est un loup garou ; le sang, dans certains rituels, conjure la mort. Toute la scène est présentée comme un rêve ou une hallucination de Lampon de Samos.
**Mot obscur, composition douteuse à partir de deux mots grecs, probable allusion aux “sourcils noirs” de Monika (“les sourcils noirs comme des ailes de merle”).
Voyez comment on distingue un gouvernement despotique
d’un gouvernement qui ne l’est pas. Dans un gouvernement qui n’est pas despotique, on laisse au peuple, ou plutôt on lui attribue à dessein, la faculté éventuelle d’opposer une résistance effective, et de provoquer en conséquence un changement de gouvernement.
Il est humiliant de regarder certains morts.
Ils ne sont plus l’affaire d’autrui : nos sentiments ne sont pas ceux de quelqu’un qui serait passé par là par hasard. On a l’impression que le même destin qui a abattu ces corps, nous cloue là, nous-mêmes, à les regarder, à nous en remplir les yeux. Ce n’est pas la peur, ce n’est pas la lâcheté coutumière. On se sent humiliés parce qu’on réalise – on touche avec les yeux – que nous pourrions nous trouver à la place du mort : il n’y aurait pas la moindre différence, et si nous sommes en vie, nous le devons à ce cadavre ensanglanté. C’est pourquoi chaque guerre est une guerre civile : tous ceux qui tombent ressemblent à ceux qui survivent, et leur en demandent raison.